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aucune de ses descriptions, pas même celles des choses qu’il ne peut avoir vues, il a soin de rester un peu vague sur les dates, sur les distances et sur les procédés de locomotion. C’est l’armée des princes, et c’est le séjour à Londres, où je ne dis point qu’il exagère ses souffrances, mais où l’on sent bien qu’il ne les atténue pas. C’est le Génie du christianisme et la gloire… et c’est Napoléon.

Napoléon est l’homme qui l’a le plus hanté ; c’est le seul en qui il reconnaisse un égal. J’ai déjà parlé de l’émulation que la fortune de Napoléon avait suscitée chez les plus forts de ses contemporains. Ce sentiment d’émulation, Chateaubriand en Angleterre, inconnu et pauvre, sans autre bien que la conscience de son génie, ce sentiment d’envie et de rivalité personnelle, Chateaubriand l’éprouve déjà. Écoutez ces aveux :

 Je comptais mes abattements et mes obscurités à Londres sur
 les élévations et l’éclat de Napoléon ; le bruit de ses pas se
 mêlait au silence des miens dans mes promenades solitaires ; son
 nom me poursuivait jusque dans les réduits où se rencontraient
 les tristes indigences de mes compagnons d’infortunes et les
 joyeuses détresses de Peltier. Napoléon était de mon âge :
 partis tous les deux du sein de l’armée, il avait gagné
 cent batailles que je languissais encore dans l’ombre de ces
 émigrations qui furent le piédestal de sa fortune. Resté
 si loin derrière lui, le pouvais-je jamais rejoindre ?  Et,
 néanmoins, quand il dictait des lois aux monarques, quand il les
 écrasait de ses armées et faisait jaillir leur sang sous ses
 pieds, quand, le drapeau