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plus original, le plus fort, le plus élu par le destin. Certes, on l’aime quand même : mais, sans cette vanité qui ne se repose jamais, on l’aimerait mieux ; les Mémoires feraient encore plus de plaisir ; on n’aurait point contre lui de mauvaises humeurs ; il serait plus grand, à quoi il aurait dû songer quand sa vanité le démangeait. De si nombreuses marques de faiblesse d’esprit nous font pour lui un vrai chagrin. Nous plaignons ce grand homme d’être, à certains égards, plus naïf et plus dupe que nous, de nous donner avantage sur lui, de nous prodiguer les occasions de le considérer avec un sourire. C’est un scandale dont nous rougissons nous-mêmes. Et alors nous nous demandons si cette vanité incoercible, qui lui fait à chaque minute emplir l’univers de son moi, n’est pas quelque chose de proprement morbide chez ce fils et frère de neurasthéniques. (Des médecins ont cru démontrer récemment l’hystérie et la demi-folie de Chateaubriand. Quand les médecins s’y mettent…) Et enfin parmi tout cela, nous sentons en lui une sorte d’innocence, et nous osons prendre en pitié ce grand homme de n’avoir pas su ménager sa gloire au lieu de la dévorer ainsi ; nous nous souvenons que la vanité contient une souffrance ; et nous ne voulons plus nous rappeler que la magie de sa phrase.

Si je me suis étendu sur ce cas de Chateaubriand, c’est que je crois bien qu’il reste unique. Car sans doute il a légué aux romantiques son immodestie, mais