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il eût été plus heureux pour M. de Chénier de n’avoir

 point participé à ces calamités publiques qui retombèrent
 enfin sur sa tête ! Il a su comme moi ce que c’est que de perdre
 dans les orages populaires un frère tendrement chéri.

Tout cela était pleinement désobligeant pour Marie-Joseph ; la fin encore plus que le reste ; car enfin André Chénier fut tué par les amis de son frère, et l’on ne saura jamais si Marie-Joseph fit vraiment son possible pour le sauver. Mais, sauf l’opportunité et la convenance, je ne trouve pas très mal, je l’avoue, que Chateaubriand ménage peu son prédécesseur. Marie-Joseph Chénier ne fut point un scélérat : mais l’indulgence pour les faibles de son espèce est mortelle. Il est seulement curieux que, tout en le traitant sans mollesse, Chateaubriand reste lui-même possédé de quelques-unes des idées de ce régicide lettré. Un peu plus loin, pour tout arranger et pour ennuyer l’empereur, il dit : « M. de Chénier adora la liberté : peut-on lui en faire un crime ? » Et il garde pour la péroraison sa meilleure flèche :

 La liberté n’est-elle pas le plus grand des biens et le premier
 des besoins de l’homme ? Elle enflamme le génie, elle élève le
 cœur, elle est nécessaire à l’ami des Muses comme l’air qu’il
 respire. Les arts peuvent jusqu’à un certain point vivre dans
 la dépendance, parce qu’ils se servent d’une langue à part qui
 n’est pas entendue de la foule ; mais les lettres qui parlent une
 langue universelle, languissent et meurent dans les fers.