Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/21

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais, à vingt ans, il est fort content de connaître Chamfort et de l’amener quelquefois souper dans sa famille. Et, même un peu plus tard, dans son Essai historique, il est beaucoup moins sévère, et pour Chamfort et pour les autres.

C’est qu’il a assisté, et de tout près, aux commencements de la Révolution, et que, malgré les horreurs dont il a été témoin : la prise de la Bastille, et les têtes de Berthier et de Foulon passant sous ses fenêtres, et le 5 octobre et les premières grandes journées criminelles, il a senti l’ivresse révolutionnaire, l’ivresse du Paris de la rue, des clubs, des spectacles, des maisons de jeu, et du Palais-Royal. Deux fois, il a rencontré Mirabeau ; il le juge avec une extrême indulgence, ou plutôt il l’admire : « Ce fils des lions, lion lui-même à tête de chimère… était tout roman, tout poésie, tout enthousiasme… Mirabeau m’enchanta de récits d’amour, de souhaits de retraite… Malgré son immoralité, il n’avait pu fausser sa conscience. »

Ce qu’il y a d’effréné dans Mirabeau s’accorde fort bien avec ce qu’il y a d’indompté dans Chateaubriand. Tous deux sont fils de pères terribles. Et ce qu’il y a d’effréné aussi dans la Révolution ne peut lui déplaire : ce redoublement de vie, ce mélange des mœurs anciennes et des mœurs nouvelles, les passions et les caractères en liberté. Les périls même, dit-il, ajoutaient à l’intérêt de ce désordre. « Le genre humain en vacances se promène dans les rues débarrassé de ses pédagogues. »