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n’ai jamais aimé quand j’offensais ma religion. Je le sens, à présent que j’aime par la volonté de mon Dieu. » Alors Cymodocée :

 Guerrier, pardonne aux demandes importunes d’une Messénienne
 ignorante… Dis-moi, puisqu’on peut aimer dans ton culte, il y a
 donc une Vénus chrétienne ? A-t-elle un char et des colombes ?…
 Force-t-elle la jeune fille à chercher le jeune homme dans la
 palestre, à l’introduire furtivement sous le toit paternel ?
 Ta Vénus rend-elle la langue embarrassée ? Répand-elle un
 feu brûlant, un froid mortel dans les veines ? Oblige-t-elle à
 recourir à des philtres pour ramener un amant volage, à chanter
 la lune, à conjurer le seuil de la porte ? Toi, chrétien, tu
 ignores peut-être que l’Amour est fils de Vénus, qu’il fut
 nourri dans les bois du lait des bêtes féroces, que son premier
 arc était de frêne, ses premières flèches de cyprès, qu’il
 s’assied sur le dos du lion, sur la croupe du Centaure, sur les
 épaules d’Hercule ?

Et si vous saviez combien la chrétienne réponse d’Eudore paraît faible ! Cymodocée, en y mettant beaucoup de bonne volonté, y comprend juste ce qu’il faut pour dire : « Que ta religion soit la mienne, puisqu’elle enseigne à mieux aimer ! ». Et c’est tout ce qu’elle y voit. La veille de sa mort, dans son costume sombre de martyre (« telle la Muse des mensonges nous peint la Nuit, mère de l’Amour, enveloppée de ses voiles d’azur et de ses crêpes funèbres »), se croyant sauvée, elle chante, oublieuse du catéchisme de Cyrille et de Jérôme, une petite chanson où pas un mot n’est chrétien : «