je ne vous reparle ici de Senancour que pour mon plaisir et parce qu’il est un excellent représentant de ces génies obscurs, qui n’ont pas eu de chance de leur vivant, et qui, parfois, furent plus réellement intelligents que ceux qui ont trop réussi. Il est clair qu’il y a, dans ses livres, plus d’idées, et plus amies de notre esprit, plus de sentiments, et plus nuancés, et plus de nourriture intellectuelle que dans Chateaubriand. Mais on ne le sait guère. Seul, un petit groupe en fut informé vers 1840 ; et c’est très bien ainsi.
L’auteur du Génie du christianisme cueille et savoure sa gloire. Les châteaux remeublés se le disputent. Il voit madame de Vintimille, madame de Fezensac, madame de Custine aux longs cheveux, la duchesse de Châtillon, madame Lindsay, Julie Talma, madame de Clermont-Tonnerre. « Ma réputation, dit-il, me rendait la vie légère. » Il connaissait, un peu, le Canada : mais, de la France, il ne connaissait guère que la Bretagne. Alors il fait un petit voyage triomphal en France, par Lyon, Avignon, Marseille, Nîmes, Montpellier, Narbonne, Toulouse, Bordeaux, Blaye, Rochefort et Nantes.
À son retour, invité à une fête chez Lucien, il y rencontra le premier consul. « J’étais dans la galerie lorsque Napoléon entra : il me frappa agréablement. Je ne l’avais jamais aperçu que de loin. Son sourire était caressant et beau, son œil admirable, surtout par la façon dont il était placé sous son