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ensemble les plus beaux et les plus désespérés passages de Job et de Lucrèce sur la vie. Elle écrit de petits poèmes en prose, « d’une sensibilité passionnée ». Il lui raconte tout ce qu’il rêve ; elle lui dit : « Tu devrais peindre tout cela. » Ils s’amusent et s’entraînent tous deux à être tristes de cette tristesse « qui a fait, dit-il, mon tourment et ma félicité ».

Comment, ayant cette amie à son côté, en vient-il à songer au suicide ? Il ne l’explique que par ces mots : « Lucile était malheureuse, ma mère ne me consolait pas, mon père me faisait éprouver les affres de la vie. » Et il est vrai que ce fut, plutôt qu’un suicide, une sorte de défi à la destinée. Il possédait un fusil de chasse dont la détente était usée : « Je chargeai ce fusil…, je l’armai, j’introduisis le bout du canon dans ma bouche, je frappai la crosse contre terre, je réitérai plusieurs fois ; le coup ne partit pas, l’apparition d’un garde suspendit ma résolution. » Peut-être bien qu’il n’avait pas frappé la crosse très fort… Puis il raconte cela vingt-cinq ans après. Enfin, ce fut tout au moins une manière de jouer assez dangereusement avec la mort. Mais je ne puis m’empêcher de croire qu’il a triché.

Comme il rêvait et désirait tout, et qu’en outre il répugnait à toute discipline, il ne sut pas choisir son métier et sa vie. On avait pensé à faire de lui un marin : il s’était dérobé. Ensuite il avait dit qu’il serait prêtre, mais bientôt il ne voulut plus.