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est Senancour qui, ayant tué le désir, a véritablement connu l’ennui. C’est lui qui, toujours, a réellement éprouvé d’avance que tout est vain et que tout nous trompe, et qui a vécu en refusant la vie. Le vrai René, c’est Obermann, « ce René sans gloire », comme l’appelle Sainte-Beuve.

Seulement, Chateaubriand a la magie des mots et des images, Chateaubriand a sa musique. Senancour, je le dis nettement, me semble un roi de l’intelligence : mais il a peu de musique, et celle qu’il a est sourde. Rien ne prévaut contre la chevelure bleue du génie des airs ou contre l’appel aux orages désirés. C’est ainsi.

Mais, si sèchement et durement triste, ou même si ennuyeusement ennuyé que soit souvent Obermann, l’aveu lui échappe que la mélancolie, la tristesse, le non-désir, la non-espérance, même l’ennui, ne sont jamais la pire souffrance, ne sont peut-être pas une souffrance, sont peut-être même une sorte de plaisir, par ce qu’ils contiennent, soit d’orgueil, soit de langueur, et en ce qu’ils sont un exercice et une invention de notre esprit :

 Je me décidai à rester le soir à Iverdun, espérant retrouver
 sur ces rives ce bien-être mêlé de tristesse que je préfère
 à la joie…
 Jeune homme,… vous chercherez des délassements, vous vous
 mettrez à table, vous verrez le côté bizarre de chaque chose,
 vous sourirez dans l’intimité, vous trouverez une sorte de
 mollesse assez heureuse dans votre ennui même…
 C’