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mal qu’ils ont décrit tous les deux. Déjà dans les Rêveries, puis dans Obermann (commencé un an avant la publication de René), Senancour, outre les autres formes de la tristesse, peint excellemment l’ennui. Non, jamais homme ne s’est ennuyé comme celui-là. Le mot d’ennui revient comme un tintement, surtout dans le premier volume d’Obermann. Sainte-Beuve lui-même, qui a tant de goût pour Senancour, ne peut s’empêcher de dire : « À force d’être ennuyé, Obermann court le risque à la longue de devenir ennuyeux. » Mais il faut ajouter tout de suite que ce style, parfois abstrait, embarrassé et prolixe, est souvent très beau de force, de justesse et même de couleur. Écoutez quelques-unes de ces plaintes dures et précises :

Dans les Rêveries :

 La sagesse elle-même est vanité. Que faire et qu’aimer au
 milieu de la folie des joies et de l’incertitude des principes ? Je
 désirai quitter la vie, bien plus fatigué du néant de ses biens
 qu’effrayé de ses maux. Bientôt, mieux instruit par le malheur,
 je le trouvai douteux lui-même, et je connus qu’il était
 indifférent de vivre ou de ne vivre pas. Je me livrai donc sans
 choix, sans goût, sans intérêt, au déroulement de mes jours.

Dans Obermann :

 L’avenir incertain, le présent déjà inutile, et l’intolérable
 vide que je trouve partout.
 Il y a l’infini entre ce que je suis et ce que j’ai besoin
 d’être…
 Que ne puis-je être content de manger et de dormir ? Car enfin