pour affirmer sa puissance ; il voudrait, par une jalousie transcendante, que le moment où une femme lui a dû le bonheur ne fût suivi pour elle d’aucun autre moment. Ces sentiments sont troubles et difficiles à exprimer avec une clarté parfaite. Mais on sait la grande tristesse, et facilement exaspérée, qui est au fond de la volupté, surtout cause de l’impossibilité où elle est de s’assouvir jamais. Vous vous rappelez le mot de Lucrèce : « Du milieu même de la source des plaisirs surgit quelque chose d’amer. » Et vous connaissez aussi la parenté de l’amour et de la mort, et comment l’idée de celle-ci surexcite celui-là. Lorsque René veut poignarder Céluta « pour fixer le bonheur dans son sein et pour se punir de lui avoir donné ce bonheur » ; lorsqu’Atala, soufflée par Chateaubriand, désire « que la divinité s’anéantisse, pourvu que, serrée dans les bras de Chactas, elle roule d’abîme en abîme avec les débris de Dieu et du monde », on sent assez ce que le désespoir de René et d’Atala contient d’orgueil délirant et, si j’ose dire, de remède impie à la souffrance.
Mais au reste ce n’est plus là de l’ennui ou de la mélancolie : c’est un état extrême de la sensibilité, et comme une fureur que Chateaubriand n’a certainement connue qu’en des heures d’exception. Peut-être même n’est-ce que de la littérature, c’est-à-dire la peinture d’une disposition d’âme imaginée plutôt qu’éprouvée. Et c’est aussi ce qu’il y a de plus proprement « romantique » dans le mal de René.
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