Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/133

Cette page n’a pas encore été corrigée

instant même où nous goûtons le plaisir, nous le sentons éphémère, et, au milieu de la fuite de tout, nous désirons ce qui ne passerait pas. La mélancolie résulte aussi de l’incapacité de jouir par l’abus de l’analyse de soi. La mélancolie, le goût passionné de la solitude, vient encore de ce que nous nous percevons différents des autres hommes, par conséquent supérieurs à eux : la mélancolie est alors misanthropie ; donc, encore et toujours, plaisir d’orgueil.

L’ennui, c’est la mort du désir, qui a été trop souvent trompé, ou qui ne peut plus s’attacher à des objets qu’il connaît trop et qui sont toujours les mêmes. La mélancolie, ce serait plutôt, à la fois, l’impossibilité de tuer le désir et l’impossibilité de croire qu’il puisse être contenté ; c’est l’éternelle et inutile renaissance du désir en dépit des déceptions passées et des déceptions prévues ; et c’est donc, dans la recherche involontaire du plaisir, l’orgueil d’en connaître le néant. Et, puisque la forme extrême du plaisir est la volupté, et que tout plaisir se rattache à cette forme extrême ou même en participe, la mélancolie est encore le souvenir de la mort associé à la volupté ; soit que ce souvenir la rende plus vive (rappelez-vous le petit squelette d’ivoire des fêtes antiques), soit qu’il la rende plus déchirante et comme furieuse : et alors l’homme qui, dans son cœur, a subordonné l’univers à son plaisir, sachant que la mort guette sa volupté, voudrait que sa volupté elle-même donnât la mort : il le voudrait