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qui

 intéresse les autres hommes ne me touche point. Pasteur ou roi,
 qu’aurais-je fait de ma houlette ou de ma couronne ? Je serais
 également fatigué de la gloire et du génie, du travail et
 des loisirs, de la prospérité et de l’infortune. En Europe,
 en Amérique, la société et la nature m’ont lassé. Je suis
 vertueux sans plaisir ; si j’étais criminel, je le serais sans
 remords. Je voudrais n’être pas né, ou être à jamais oublié.

(Ceci est à rapprocher d’un passage singulier des Mémoires (1re partie, livre VIII). Il vient de nous raconter que, ambassadeur à Londres, il a retrouvé, mariée et mère de deux grands garçons, cette Charlotte qu’il avait aimée à Bungay pendant l’exil. Et il termine, violemment, par ces mots inattendus : « Si j’avais serré dans mes bras, épouse et mère, celle qui me fut destinée vierge, c’eût été avec une sorte de rage, pour flétrir, remplir de douleur et étouffer ces vingt-sept années livrées à un autre après m’avoir été offertes. » Et c’est bien là le tréfond de René : car, dans l’alinéa suivant, qui est fort obscur et où il n’y a que cette phrase de claire, il parle des « folles idées peintes dans le mystère de René », qui « l’obsédaient » et faisaient de lui « l’être le plus tourmenté qui fût sur la terre ».

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Nous avons maintenant le mal de René tout entier, à tous ses degrés, avec ses contradictions apparentes et son aboutissement.

À l’origine, la tristesse vieille comme le monde ; la tristesse de Job ; celle qui fait dire à l’ecclésiaste que