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d’abord, où vous êtes libres de voir une confession personnelle de l’auteur.

 Un grand malheur m’a frappé dans ma première jeunesse : ce
 malheur m’a fait tel que vous m’avez vu. J’ai été aimé, trop
 aimé : l’ange qui m’environna de sa tendresse mystérieuse ferma
 pour jamais, sans les tarir, les sources de mon existence ( ?).
 Tout amour me fit horreur ; un modèle de femme était devant
 moi, dont rien ne pouvait approcher ; intérieurement consumé de
 passions, par un contraste inexplicable, je suis demeuré glacé
 sous la main du malheur.

Et ceci :

 Je suppose, Céluta, que le cœur de René s’ouvre maintenant
 devant toi : vois-tu le monde extraordinaire qu’il renferme ?
 Il sort de ce cœur des flammes qui manquent d’aliment, qui
 dévoreraient la création sans être rassasiées, qui te
 dévoreraient toi-même. Prends garde, femme de vertu ! recule
 devant cet abîme : laisse-le dans mon sein ! Père tout-puissant,
 tu m’as appelé dans la solitude, tu m’as dit : « René, René !
 Qu’as-tu, fait de ta sœur ?  » Suis-je donc Caïn ?

Ceci encore :

 Quelle nuit j’ai passée !… Je cherchais ce qui me fuit ; je
 pressais le tronc des chênes ; mes bras avaient besoin de serrer
 quelque chose. J’ai cru, dans mon délire, sentir une écorce
 aride palpiter contre mon cœur : un degré de chaleur de plus,
 et j’animais des êtres insensibles. Le sein nu et déchiré,
 les cheveux trempés de la vapeur de la nuit, je croyais voir une
 femme qui se jetait dans mes bras ; elle me disait : viens échanger
 des feux avec moi, et perdre la vie ! Mêlons des voluptés