il ne fait réellement qu’un avec René, et Lucile avec Amélie ? Par goût de l’étrange, pour l’orgueil de s’attribuer une aventure et des sentiments exceptionnels ; autrement dit par romantisme, ainsi que l’explique cet aveu de René qui à la fois définit, dénonce et déshabille le romantisme : « Mes larmes avaient moins d’amertume lorsque je les répandais sur les rochers et parmi les vents. Mon chagrin même, par sa nature extraordinaire, portait avec lui quelque remède : on jouit de ce qui n’est pas commun, même quand cette chose est un malheur. J’en conçus presque l’espérance que ma sœur deviendrait à son tour moins misérable. » En d’autres termes : j’espérais que ma sœur, de son côté, jouirait de ce qu’il y a de distingué, de « pas commun » pour une sœur à aimer son frère d’amour.
Et c’est, en effet, ce que comprendra, n’en doutez point, cette intéressante religieuse qui s’est donné le plaisir vraiment rare d’avouer sa passion criminelle sous le drap des morts, et que, depuis, René aperçoit à une petite fenêtre grillée, « assise dans une attitude pensive » et qui « rêve à l’aspect de l’Océan », telle une religieuse de Diderot ou de madame de Tencin. Et c’est elle qui, avant le départ de René, lui écrit, parlant de son couvent : « C’est ici la sainte montagne… C’est ici que la religion trompe doucement une âme sensible ; aux plus violentes amours elle substitue une sorte de chasteté brûlante où l’amante et la vierge sont unies… ;