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passoit pour un Axiome incontestable chez les Philosophes modernes. On entend par la Quantité de Mouvement le produit de la Masse par la vistesse, de sorte que la masse du corps estant comme 2 et la vistesse comme 3, la quantité de mouvement du corps seroit comme 6. Ainsi s’il y avoit deux corps concourrans, multipliant la masse de chacun par sa vistesse et prenant la somme des produits, on pretendoit que cette somme devoit estre la même avant et apres le concours.

Maintenant on commence à en estre desabusé, sur tout depuis que cette opinion a esté abandonnée par quelques uns de ses plus anciens, plus habiles et plus considérables défenseurs, et sur tout par l’Auteur même de la Recherche de la Vérité. Mais il en est arrivé un inconvénient, c’est qu’on s’est trop jetté dans l’autre extrémité, et qu’on ne reconnoist point la conservation de quelque chose d’absolu, qui pourroit tenir la place de la Quantité de Mouvement. Cependant c’est à quoy nostre esprit s’attend, et c’est pour cela que je remarque que les philosophes, qui n’entrent point dans les discussions profondes des Mathematiciens, ont de la peine à abandonner un Axiome tel que celuy de la Quantité de mouvement conservée sans qu’on leur en donne un autre où ils se puissent tenir.

Il est vray que les Mathematiciens qui depuis long temps ont établi des regles du mouvement fondées sur des experiences, ont remarqué qu’il se conserve la même vistesse respective entre les corps concourrans. Par exemple, soit que l’un des deux repose, ou qu’ils soyent en mouvement tous deux, et qu’ils aillent l’un contre l’autre, ou du même costé, il y a une vistesse respective, avec la quelle ils approchent ou s’eloignent l’un de l’autre ; et on trouve que cette vistesse respective demeure la même, en sorte que les corps s’eloignent apres le choc avec la vistesse dont ils s’estoient approchés avant le choc. Mais cette vistesse respective peut demeurer la même, quoyque les veritables vistesses et forces absolues des corps changent d’une infinité de façons, de sorte que cette conservation ne regarde point ce qu’il y a d’absolu dans les corps.

Je remarque encor une autre conservation, c’est celle de la Quantité du progrès, mais ce n’est pas non plus la conservation de ce qu’il y a d’absolu. J’appelle progrès la Quantité du mouvement avec la quelle on procede vers un certain costé, de sorte que