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l’ordinaire purement passif, ne pouvant éviter d’apercevoir ce qu’il aperçoit actuellement.

Théophile. On pourrait peut-être ajouter que les bêtes ont de la perception, et qu’il n’est point nécessaire qu’ils aient de la pensée, c’est-à-dire qu’ils aient de la réflexion ou ce qui en peut être l’objet. Aussi avons-nous des petites perceptions nous-mêmes, dont nous ne nous apercevons point dans notre présent état. Il est vrai que nous pourrions fort bien nous en apercevoir et y faire réflexion, si nous n’étions détournés par leur multitude, qui partage notre esprit, ou si elles n’étaient effacées ou plutôt obscurcies par de plus grandes.

§ 4. Philalèthe. J’avoue que, lorsque l’esprit est fortement occupé à contempler certains objets, il ne s’aperçoit en aucune manière de l’impression que certains corps font sur l’organe de l’ouïe, bien que l’impression soit assez forte, mais il n’en provient aucune perception, si l’âme n’en prend aucune connaissance.

Théophile. J’aimerais mieux distinguer entre perception et entre s’apercevoir. La perception de la lumière ou de la couleur par exemple, dont nous nous apercevons, est composée de quantité de petites perceptions, dont nous ne nous apercevons pas, et un bruit dont nous avons perception, mais où nous ne prenons point garde, devient aperceptible par une petite addition ou augmentation. Car si ce qui précède ne faisait rien sur l’âme, cette petite addition n’y ferait rien encore et le tout ne ferait rien non plus. J’ai déjà touché ce point chap. I de ce livre, § 11, 12, 15, etc.

§ 8. Philalèthe. Il est à propos de remarquer ici que les idées qui viennent par la sensation sont souvent altérées par le jugement de l’esprit des personnes faites sans qu’elles s’en aperçoivent. L’idée d’un globe de couleur uniforme représente un cercle plat diversement ombragé et illuminé. Mais comme nous sommes accoutumés à distinguer les images des corps et les changements des réflexions de la lumière selon les figures de leurs surfaces, nous mettons, à la place de ce qui nous paraît, la cause même de l’image, et confondons le jugement avec la vision.

Théophile. Il n’y a rien de si vrai, et c’est ce qui donne moyen à la peinture de nous tromper par l’artifice d’une perspective bien entendue. Lorsque les corps ont des extrémités plates, on peut les représenter sans employer les ombres en ne se servant que des contours et en faisant simplement des peintures à la façon des Chinois, mais mieux proportionnées que les leurs. C’est comme on a