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que l’eau est déjà trop comprimée pour céder à nos machines, comme un air très comprimé résisterait aussi à une compression ultérieure. J’avoue cependant de l’autre côté que quand on remarquerait quelque petit changement de volume dans l’eau, on pourrait l’attribuer à l’air qui y est enfermé. Sans entrer maintenant dans la discussion, si l’eau pure n’est point comprimable elle-même, comme il se trouve qu’elle est dilatable, quand elle évapore, cependant je suis dans le fond du sentiment de ceux qui croient que les corps sont parfaitement impénétrables, et qu’il n’y a point de condensation ou raréfaction qu’en apparence. Mais ces sortes d’expériences sont aussi peu capables de le prouver que le tuyau de Torricelli ou la machine de Gherike sont suffisantes pour prouver un vide parfait.

§ 5. Philalèthe. Si le corps était raréfiable ou comprimable à la rigueur, il pourrait changer de volume ou d’étendue, mais cela n’étant point, il sera toujours égal au même espace : et cependant son étendue sera toujours distincte de celle de l’espace. Théophile. Le corps pourrait avoir sa propre étendue, mais il ne s’ensuit point qu’elle serait toujours déterminée ou égale au même espace. Cependant quoiqu’il soit vrai qu’en concevant le corps, on conçoit quelque chose de plus que l’espace, il ne s’ensuit point qu’il y ait deux étendues, celle de l’espace et celle du corps ; car c’est comme lorsqu’en concevant plusieurs choses à la fois, on conçoit quelque chose de plus que le nombre, savoir res numeratas, et cependant il n’y a point deux multitudes, l’une abstraite, savoir celle du nombre, l’autre concrète, savoir celle des choses nombrées. On peut dire de même qu’il ne faut point s’imaginer deux étendues, l’une abstraite, de l’espace, l’autre concrète, du corps ; le concret n’étant tel que par l’abstrait. Et comme les corps passent d’un endroit de l’espace à l’autre, c’est-à-dire qu’ils changent d’ordre entre eux, les choses aussi passent d’un endroit de l’ordre ou d’un nombre à l’autre, lorsque par exemple le premier devient le second et le second devient le troisième, etc. En effet le temps et le lieu ne sont que des espèces d’ordre, et dans ces ordres la place vacante (qui s’appelle vide à l’égard de l’espace), s’il y en avait, marquerait la possibilité seulement de ce qui manque avec son rapport à l’actuel.

Philalèthe.