Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/79

Cette page n’a pas encore été corrigée

des idées étant à l’âme ce que le mouvement est au corps. Cela me paraît fort raisonnable au moins, et je serais bien aise, Monsieur, de savoir votre sentiment là-dessus.

Théophile. Vous l’avez dit, Monsieur. L’action n’est pas plus attachée à l’âme qu’au corps, un état sans pensée dans l’âme et un repos absolu dans le corps me paraissant également contraire à la nature, et sans exemple dans le monde. Une substance qui sera une fois en action le sera toujours, car toutes les impressions demeurent et sont mêlées seulement avec d’autres nouvelles. Frappant un corps on y excite ou détermine plutôt une infinité de tourbillons comme dans une liqueur, car dans le fond tout solide a un degré de liquidité et tout liquide un degré de solidité, et il n’y a pas moyen d’arrêter jamais entièrement ces tourbillons internes : maintenant on peut croire que, si le corps n’est jamais en repos, l’âme qui y répond ne sera jamais non plus sans perception.

Philalèthe. Mais c’est peut-être un privilège de l’auteur et conservateur de toutes choses qu’étant infini dans ses perfections, il ne dort et ne sommeille jamais. Ce qui ne convient point à aucun être fini, ou au moins à pas un être tel que l’âme de l’homme.

Théophile. Il est sûr que nous dormons et sommeillons, et que Dieu en est exempt. Mais il ne s’ensuit point que nous soyons sans aucune perception en sommeillant. Il se trouve plutôt tout le contraire, si on y prend bien garde.

Philalèthe. Il y a en nous quelque chose qui a la puissance de penser ; mais il ne s’ensuit pas que nous en ayons toujours l’acte.

Théophile. Les puissances véritables ne sont jamais de simples possibilités. Il y a toujours de la tendance et de l’action.

Philalèthe. Mais cette proposition : l’âme pense toujours, n’est pas évidente par elle-même.

Théophile. Je ne le dis point non plus. Il faut un peu d’attention et de raisonnement pour la trouver ; le vulgaire s’en aperçoit aussi peu que de la pression de l’air, ou de la rondeur de la terre.

Philalèthe. Je doute si j’ai pensé la nuit précédente, c’est une question de fait, il la faut décider par des expériences sensibles.

Théophile. On la décide comme l’on prouve qu’il y a des corps imperceptibles et des mouvements invisibles, quoique certaines personnes les traitent de ridicules. Il y a de même des perceptions peu relevées sans nombre, qui ne se distinguent