Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/72

Cette page n’a pas encore été corrigée

delà de tout autre objet, et que c’est une conséquence nécessaire de son idée et de son existence, ce qui signifie chez moi que cette vérité est innée.

§ 8. Philalèthe. Mais les athées semblent prouver par leur exemple que l’idée de Dieu n’est point innée. Et sans parler de ceux dont les Anciens ont fait mention, n’a-t-on pas découvert des nations entières qui n’avaient aucune idée de Dieu ni des noms pour marquer Dieu et l’âme, comme à la Baie de Soldanie, dans le Brésil, dans les îles Caribes, dans le Paraguay.

Théophile. Feu M. Fabritius, théologien célèbre de Heidelberg, a fait une apologie du genre humain, pour le purger de l’imputation de l’athéisme. C’était un auteur de beaucoup d’exactitude et fort au-dessus de bien des préjugés ; cependant je ne prétends point entrer dans cette discussion des faits. Je veux que des peuples entiers n’aient jamais pensé à la substance suprême ni à ce que c’est que l’âme. Et je me souviens que lorsqu’on voulut à ma prière, favorisée par l’illustre M. Witsen, m’obtenir en Hollande une version de l’Oraison dominicale dans la langue de Barantola, on fut arrêté à cet endroit : ton nom soit sanctifié, parce qu’on ne pouvait point faire entendre aux Barantolais ce que voulait dire saint. Je me souviens aussi que dans le Credo fait pour les Hottentots, on fut obligé d’exprimer le Saint Esprit par des mots du pays qui signifient un vent doux et agréable. Ce qui n’était pas sans raison, car nos mots grecs et latins pneuma, anima, spiritus, ne signifient originairement que l’air ou vent qu’on respire, comme une des plus subtiles choses qui nous soit connue par les sens : et on commence par les sens pour mener peu à peu les hommes à ce qui est au-dessus des sens. Cependant toute cette difficulté qu’on trouve à parvenir aux connaissances abstraites ne fait rien contre les connaissances innées. Il y a des peuples qui n’ont aucun mot qui réponde à celui d’Etre ; est-ce qu’on doute qu’ils ne savent pas ce que c’est que d’être, quoiqu’ils n’y pensent guère à part ? Au reste je trouve si beau et si à mon gré ce que j’ai lu chez notre excellent auteur sur l’idée de Dieu que je ne saurais m’empêcher de le rapporter, le voici : Les hommes ne sauraient guère éviter d’avoir quelque espèce d’idée des choses dont ceux avec qui ils conversent ont souvent occasion de les entretenir sous certains