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d’un de mes amis ? Je voudrais bien, dit-il, que les partisans des idées innées me disent si ces principes peuvent ou ne peuvent pas être effacés par l’éducation et la coutume ; s’ils ne peuvent l’être, nous devons les trouver dans tous les hommes, et il faut qu’ils paraissent clairement dans l’esprit de chaque homme en particulier ; que s’ils peuvent être altérés par des notions étrangères, ils doivent paraître plus distinctement et avec plus d’éclat lorsqu’ils sont plus près de leur source, je veux dire dans les enfants et ignorants, sur qui les opinions étrangères ont fait le moins d’impression. Qu’ils prennent tel parti qu’ils voudront, ils verront clairement, dit-il, qu’il est démenti par des faits constants et par une continuelle expérience.

Théophile. Je m’étonne que votre habile ami ait confondu obscurcir et effacer, comme on confond dans votre parti n’être point et ne point paraître. Les idées et vérités innées ne sauraient être effacées, mais elles sont obscurcies dans tous les hommes (comme ils sont présentement) par leur penchant vers les besoins du corps, et souvent encore plus par les mauvaises coutumes survenues. Ces caractères de lumière interne seraient toujours éclatants dans l’entendement, et donneraient de la chaleur dans la volonté, si les perceptions confuses des sens ne s’emparaient de notre attention. C’est le combat dont la Sainte Ecriture ne parle pas moins que la philosophie ancienne et moderne.

Philalèthe. Ainsi donc nous nous trouvons dans des ténèbres aussi épaisses et dans une aussi grande incertitude que s’il n’y avait point de semblables lumières.

Théophile. A Dieu ne plaise ; nous n’aurions ni sciences ni lois, et nous n’aurions pas même de la raison.

§ 21. 22. etc. Philalèthe. J’espère que vous conviendrez au moins de la force des préjugés, qui font souvent passer pour naturel ce qui est venu des mauvais enseignements où les enfants ont été exposés, et des mauvaises coutumes que l’éducation et la conversation leur ont données.

Théophile. J’avoue que l’excellent auteur que vous suivez dit de fort belles choses là-dessus et qui ont leur prix, si on les prend comme il faut ; mais je ne crois pas qu’elles soient contraires à la doctrine bien prise du naturel ou des vérités innées. Et je m’assure qu’il ne voudra pas étendre ses remarques trop loin ; car je suis également persuadé, et bien des opinions passent pour des vérités, qui ne sont que des effets de la coutume et de la crédulité, et qu’il y en a bien aussi que certains philosophes voudraient faire passer pour des préjugés, qui sont pourtant