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est la source des vertus qui regardent la société : ne faites à autrui que ce que vous voudriez qu’il vous fût fait à vous-même.

Théophile. Vous me faites toujours l’objection que j’ai déjà réfutée. Je vous accorde, Monsieur, qu’il y a des règles de morale qui ne sont point des principes innés, mais cela n’empêche point que cc ne soient des vérités innées, car une vérité dérivative sera innée lorsque nous la pouvons tirer de notre esprit. Mais il y a des vérités innées que nous trouvons en nous de deux façons, par lumière et par instinct. Celles que je viens de marquer se démontrent par nos idées, ce qui fait la lumière naturelle. Mais il y a des conclusions de la lumière naturelle qui sont des principes par rapport à l’instint. C’est ainsi que nous sommes portés aux actes d’humanité, par instinct parce que cela nous plaît, et par raison parce que cela est juste. Il y a donc en nous des vérités d’instinct, qui sont des principes innés, qu’on sent et approuve, quand même on n’en a point la preuve, qu’on obtient pourtant lorsqu’on rend raison de cet instinct. C’est ainsi qu’on se sert des lois des conséquences suivant une connaissance confuse, et comme par instinct, mais les logiciens en démontrent la raison, comme les mathématiciens aussi rendent raison de ce qu’on fait sans y penser en marchant et en sautant. Quant à la règle qui porte qu’on ne doit faire aux autres que ce qu’on voudrait qu’ils nous fissent, elle a besoin non seulement de preuve, mais encore de déclaration. On voudrait trop, si on en était le maître, est-ce donc qu’on doit trop aussi aux autres ? On me dira que cela ne s’entend que d’une volonté juste. Mais ainsi cette règle, bien loin de suffire à servir de mesure, en aurait besoin. Le véritable sens de la règle est que la place d’autrui est le vrai point de vue pour juger équitablement lorsqu’on s’y met.

§ 9. Philalèthe. On commet souvent des actions mauvaises sans aucun remords de conscience : par exemple, lorsqu’on prend des villes d’assaut, les soldats commettent sans scrupules les plus méchantes actions ; des nations polies ont exposé leurs enfants, quelques Caribes ` châtrent les leurs pour les engraisser et manger. Garcilasso de La Vega 43 rapporte que certains peuples du Pérou prenaient des prisonnières pour en faire des concubines, et nourrissaient les enfants jusqu’à l’âge de 13 ans, après quoi ils les mangeaient, et traitaient de même les mères dès qu’elles ne faisaient plus d’enfants. Dans le voyage de