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Philalèthe. Je vous ai accordé qu’on peut avoir dans l’âme ce qu’on n’y aperçoit pas, car on ne se souvient pas toujours à point nommé de tout ce que l’on sait, mais il faut toujours qu’on l’ait appris, et qu’on l’ait connu autrefois expressément. Ainsi, si on peut dire qu’une chose est dans l’âme, quoique l’âme ne l’ait pas encore connue, ce ne peut être qu’à cause qu’elle a la capacité ou faculté de la connaître.

Théophile. Pourquoi cela ne pourrait-il avoir encore une autre cause, telle que serait celle-ci, que l’âme peut avoir cette chose en elle sans qu’on s’en soit aperçu ? car puisqu’une connaissance acquise y peut être cachée par la mémoire, comme vous en convenez, pourquoi la nature ne pourrait-elle pas y avoir aussi caché quelque connaissance originale ? Faut-il que tout ce qui est naturel à une substance qui se connaît s’y connaisse d’abord actuellement ? Une substance telle que notre âme ne peut et ne doit-elle pas avoir plusieurs propriétés et affections, qu’il est impossible d’envisager toutes d’abord et tout à la fois ? C’était l’opinion des platoniciens que toutes nos connaissances étaient des réminiscences, et qu’ainsi les vérités, que l’âme a apportées avec la naissance de l’homme, et qu’on appelle innées, doivent être des restes d’une connaissance expresse antérieure. Mais cette opinion n’a nul fondement. Et il est aisé de juger que l’âme devait déjà avoir des connaissances innées dans l’état précédent (si la préexistence avait lieu), quelque reculé qu’il pût être, tout comme ici : elles devraient donc aussi venir d’un autre état précédent, où elles seraient enfin innées ou au moins concréées, ou bien il faudrait aller à l’infini et faire les âmes éternelles, en quel cas ces connaissances seraient innées en effet, parce qu’elles n’auraient jamais de commencement dans l’âme ; et si quelqu’un prétendait que chaque état antérieur a eu quelque chose d’un autre plus antérieur, qu’il n’a point laissé aux suivants, on lui répondra qu’il est manifeste que certaines vérités évidentes devraient avoir été de tous ces états. Et de quelque manière qu’on le prenne, il est toujours clair, dans tous les états de l’âme, que les vérités nécessaires sont innées et se prouvent par ce qui est interne, ne pouvant point être établies par les expériences, comme on établit par là les vérités de fait. Pourquoi faudrait-il aussi qu’on ne peut rien posséder dans l’âme dont on ne se fut jamais servi ? Et avoir une chose sans s’en servir, est-ce la même chose que d’avoir seulement la faculté de l’acquérir ? Si cela était, nous ne posséderions jamais que des choses dont nous jouissons : au lieu qu’on sait qu’outre la faculté