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pour des axiomes chez vous, ne sont pas même connues.

Théophile. Je ne fonde pas la certitude des principes innés sur le consentement universel, car je vous ai déjà dit, Philalèthe, que mon avis est qu’on doit travailler à pouvoir démontrer tous les axiomes qui ne sont point primitifs. Je vous accorde aussi qu’un consentement fort général, mais qui n’est pas universel, peut venir d’une tradition répandue par tout le genre humain, comme l’usage de la fumée du tabac a été reçu presque par tous les peuples en moins d’un siècle, quoiqu’on ait trouvé quelques insulaires qui, ne connaissant pas même le feu, n’avaient garde de fumer. C’est ainsi que quelques habiles gens, même parmi les théologiens, mais du parti d’Arminius, ont cru que la connaissance de la Divinité venait d’une tradition très ancienne et fort générale ; et je veux croire en effet que l’enseignement a confirmé et rectifié cette connaissance. Il paraît pourtant que la nature a contribué à y mener sans la doctrine ; les merveilles de l’univers ont fait penser à un Pouvoir supérieur. On a vu un enfant né sourd et muet marquer de la vénération pour la pleine lune. Et on a trouvé des nations, qu’on ne voyait pas avoir appris autre chose d’autres peuples, craindre des puissances invisibles. Je vous avoue, mon cher Philalèthe, que ce n’est pas encore l’idée de Dieu, telle que nous avons, et que nous demandons ; mais cette idée même ne laisse pas d’être dans le fond de nos âmes, sans y être mise, comme nous verrons. Et les lois éternelles de Dieu y sont en partie gravées d’une manière encore plus lisible, et par une espèce d’instinct. Mais ce sont des principes de pratique dont nous aurons aussi occasion de parler. Il faut avouer cependant que le penchant que nous avons à reconnaître l’idée de Dieu est dans la nature humaine. Et quand on en attribuerait le premier enseignement à la révélation, toujours la facilité que les hommes ont témoignée à recevoir cette doctrine vient du naturel de leurs âmes. Mais nous jugerons dans la suite que la doctrine externe ne fait qu’exciter ici ce qui est en nous. Je conclus qu’un consentement assez général parmi les hommes est un indice, et non pas une démonstration d’un principe inné ; mais que la preuve exacte et décisive de ces principes consiste à faire voir que leur certitude ne vient que de ce qui est en nous. Pour répondre encore à ce que vous dites contre l’approbation générale qu’on donne aux deux grands principes spéculatifs, qui sont pourtant des mieux établis, je puis vous dire que, quand même ils ne seraient pas connus, ils ne laisseraient