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fondée, et ces motifs dépendent sans doute de la sensation et de la réflexion. Il semble donc que la question est, non pas si l’existence d’un fait ou la vérité d’une proposition peut être déduite des principes dont se sert la raison, c’est-à-dire de la sensation et de la réflexion, ou bien des sens externes et internes ; mais si un esprit créé est capable de connaître le comment de ce fait ou la raison a priori de cette vérité ; de sorte qu’on peut dire que ce qui est au-dessus de la raison peut bien être appris, mais il ne peut pas être compris par les voies et les forces de la raison créée, quelque grande et relevée qu’elle soit. Il est réservé à Dieu seul de l’entendre, comme il appartient à lui seul de le mettre en fait.

Philalèthe. Cette considération me paraît bonne, et c’est ainsi que je veux qu’on prenne ma définition. Et cette même considération me confirme aussi dans l’opinion où je suis que la manière de parler qui oppose la raison à la foi, quoiqu’elle soit fort autorisée, est impropre ; car c’est par la raison que nous devons croire. La foi est un ferme assentiment, et l’assentiment réglé comme il faut ne peut être donné que sur de bonnes raisons. Ainsi celui qui croit sans avoir aucune raison de croire peut être amoureux de ses fantaisies, mais il n’est pas vrai qu’il cherche la vérité, ni qu’il rende une obéissance légitime à son divin maître, qui voudrait qu’il fit usage des facultés dont il l’a enrichi pour le préserver de l’erreur. Autrement, s’il est dans le bon chemin, c’est par hasard ; et s’il est dans le mauvais, c’est par sa faute, dont il est comptable à Dieu.

Théophile. Je vous applaudis fort, monsieur, lorsque vous voulez que la foi soit fondée en raison : sans cela pourquoi préférerions-nous la Bible à l’Alcoran ou aux anciens livres des bramines ? Aussi nos théologiens et autres savants hommes l’ont bien reconnu, et c’est ce qui nous a fait avoir de si beaux ouvrages de la vérité de la religion chrétienne, et tant de belles preuves qu’on a mises en avant contre les païens et autres mécréants anciens et modernes. Aussi les personnes sages ont toujours tenu pour suspects ceux qui ont prétendu qu’il ne fallait point se mettre en peine des raisons et preuves quand il s’agit de croire ; chose impossible en effet, à moins que croire ne signifie réciter, ou répéter et laisser passer sans s’en mettre en peine, comme font bien des gens, et comme c’est même le caractère de quelques nations plus que d’autres. C’est pourquoi quelques philosophes aristotéliciens des xv^ et xvi*^ siècles, dont les restes ont subsisté encore longtemps depuis (comme l’on peut juger par