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exempter de la peine des discussions et que cet abus aura animé son zèle contre cette supposition. Il aura voulu combattre la paresse et la manière de penser superficielle de ceux qui, sous le prétexte spécieux d’idées innées et de vérités gravées naturellement dans l’esprit, où nous donnons facilement notre consentement, ne se soucient point de rechercher et d’examiner les sources, les liaisons et la certitude de ces connaissances. En cela je suis entièrement de son avis, et je vais même plus avant. Je voudrais qu’on ne bornât point notre analyse, qu’on donnât les définitions de tous les termes qui en sont capables, et qu’on démontrât ou donnât le moyen de démontrer tous les axiomes qui ne sont point primitifs ; sans distinguer l’opinion que les hommes en ont, et sans se soucier s’ils y donnent leur consentement ou non. Il y aurait en cela plus d’utilité qu’on ne pense. Mais il semble que l’auteur a été porté trop loin d’un autre côté par son zèle, fort louable d’ailleurs. Il n’a pas assez distingué à mon avis l’origine des vérités nécessaires, dont la source est dans l’entendement, d’avec celle des vérités de fait, qu’on tire des expériences des sens, et même des perceptions confuses qui sont en nous. Vous voyez donc, Monsieur, que je n’accorde pas ce que vous mettez en fait, que nous pouvons acquérir toutes nos connaissances sans avoir besoin d’impressions innées. Et la suite fera voir qui de nous a raison.

§ 2. Philalèthe. Nous l’allons voir en effet. Je vous avoue, mon cher Théophile, qu’il n’y a point d’opinion plus communément reçue que celle qui établit qu’il y a certains principes de la vérité desquels les hommes conviennent généralement ; c’est pourquoi ils sont appelés notions communes, κοιναὶ ἔννοιαι ; d’où l’on infère qu’il faut que ces principes-là soient autant d’impressions que nos esprits reçoivent avec l’existence. § 3. Mais quand le fait serait certain, qu’il y a des principes dont tout le genre humain demeure d’accord, ce consentement universel ne prouverait point qu’ils sont innés, si l’on peut montrer, comme je le crois, une autre voie par laquelle les hommes ont pu arriver à cette uniformité de sentiment. § 4. Mais, ce qui est bien pis, ce consentement universel ne se trouve guère, non pas même par rapport à ces deux célèbres principes spéculatifs (car nous parlerons par après de ceux de pratique) que tout ce qui est, est, et qu’il est impossible qu’une chose soit et ne soit pas en même temps. Car il y a une grande partie du genre humain, à qui ces deux propositions, qui passeront sans doute pour vérités nécessaires et