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intelligents, nous avons l’avantage de n’être point contrôlés visiblement dans ce globe, où nous tenons sans contredit le premier rang ; et, avec toute l’ignorance où nous sommes plongés, nous avons toujours le plaisir de ne rien voir qui nous surpasse. Et, si nous étions vains, nous pourrions juger comme César, qui aimait mieux être le premier dans une bourgade que le second à Rome. Au reste, je ne parle ici que des connaissances naturelles de ces esprits, et non pas de la vision béatifique, ni des lumières surnaturelles que Dieu veut bien leur accorder.

§ 9. Philalèthe. Comme chacun se sert de la raison, ou à part soi, ou envers un autre, il ne sera pas inutile de faire quelques réflexions sur quatre sortes d’arguments dont les hommes sont accoutumés de se servir pour entraîner les autres dans leurs sentiments ou du moins pour les tenir dans une espèce de respect qui les empêche de contredire. Le premier argument se peut appeler argrumentum ad verecundiam, quand on cite l’opinion de ceux qui ont acquis de l’autorité par leur savoir, rang, puissance ou autrement ; car lorsqu’un autre ne s’y rend pas promptement, on est porté a le censurer comme plein de vanité, et même à le taxer d’insolence. § 20. il y a (2) l’argumentum ad ignorantiam, c’est d’exiger que l’adversaire admette la preuve ou qu’il en assigne une meilleure. § 21. Il y a (3) argumentum ad hominem, quand on presse un homme par ce qu’il a dit lui-même. § 22. Enfin il y a (4) argumentum ad judicium, qui consiste à employer des preuves tirées de quelqu’une des sources de la connaissance ou de la probabilité ; et c’est le seul de tous qui nous avance et instruit ; car si par respect je n’ose point contredire, ou si je n’ai rien de meilleur à dire, ou si je me contredis, il ne s’ensuit point que vous ayez raison. Je puis être modeste, ignorant, trompé, et vous pouvez vous être trompé aussi.

Théophile. Il faut sans doute faire différence entre ce qui est bon à dire et ce qui est vrai à croire. Cependant, comme la plupart des vérités peuvent être soutenues hardiment, il y a quelque préjugé contre une opinion qu’il faut cacher. L’argument ad ignorantiam est bon dans les cas à présomption où il est raisonnable de se tenir à une opinion jusqu’à ce que le contraire se prouve. L’argument ad hominem a cet effet qu’il montre que l’une ou l’autre assertion est fausse, et que l’adversaire s’est trompé de quelque manière qu’on le prenne. On pourrait encore apporter d’autres arguments dont on se sert, par exemple, celui qu’on pourrait appeler ad veriiginem, lorsqu’on raisonne ainsi : si cette preuve n’est point reçue, nous