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d’autant plus besoin que son étendue est assez limitée et qu’elle nous manque en bien des rencontres. C’est (1) parce que souvent les idées mêmes nous manquent. § 6. Et puis (2) elles sont souvent obscures et imparfaites ; au lieu que là où elles sont claires et distinctes, comme dans les nombres, nous ne trouvons point de difficultés insurmontables et ne tombons dansaucunecontradiction.§7. (3) Souvent aussi la difficulté vient de ce que les idées moyennes nous manquent. L’on sait qu’avant que l’algèbre, ce grand instrument et cette preuve insigne de la sagacité de l’homme, eût été découverte, les hommes regardaient avec étonnement plusieurs démonstrations des anciens mathématiciens. § 12. Il arrive aussi (4) qu’on bâtit sur de faux principes, ce qui peut engager dans des difficultés où la raison embrouille davantage, bien loin d’éclairer. § 13. Enfin (5) les termes dont la signification est incertaine embarrassent la raison.

Théophile. Je ne sais s’il nous manque tant d’idées qu’on croit, c’est-à-dire de distinctes. Quant aux idées confuses ou images plutôt, ou si vous voulez impressions, comme couleurs, goûts, etc., qui sont un résultat de plusieurs petites idées distinctes en elles-mêmes, mais dont on ne s’aperçoit pas distinctement, il nous en manque une infinité, qui sont convenables à d’autres créatures plus qu’à nous. Mais ces impressions aussi servent plutôt à donner des instincts et à fonder des observations d’expérience qu’à fournir de la matière à la raison, si ce n’est en tant qu’elles sont accompagnées de perceptions distinctes. C’est donc principalement le défaut de la connaissance que nous avons de ces idées distinctes cachées dans les confuses qui nous arrête ; et lors même que tout est distinctement exposé à nos sens ou à notre esprit, la multitude des choses qu’il faut considérer nous embrouille quelquefois. Par exemple, lorsqu’il y a un tas de 1.000 boulets devant nos yeux, il est visible que pour bien concevoir le nombre et les propriétés de cette multitude il sert beaucoup de les ranger en figures comme l’on fait dans les magasins, afin d’en avoir des idées distinctes et de les fixer même en sorte qu’on puisse s’épargner la peine de les compter plus d’une fois. C’est la multitude des considérations aussi qui fait que dans la science des nombres même il y a des difficultés très grandes, car on y cherche des abrégés et on ne sait pas quelquefois si la nature en a dans ses replis pour le cas dont il s’agit. Par exemple, qu’y a-t-il de plus simple en apparence que la notion du nombre primitif, c’est-à-dire du nombre entier indivisible par tout autre, excepté par l’unité et par lui-même ? Cepen-