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doigts. Mais cependant il n’est que trop vrai que dans les plus importantes délibérations qui regardent la vie, l’État, le salut, les hommes se laissent éblouir souvent par le poids de l’autorité, par la lueur de l’éloquence, par des exemples mal appliqués, par des entliymèmes qui supposent faussement l’évidence de ce qu’ils suppriment et même par des conséquences fautives ; de sorte qu’une logique sévère, mais d’un autre tour que celle de l’école, ne leur serait que trop nécessaire, entre autres pour déterminer de quel côté est la plus grande apparence. Au reste, de ce que le vulgaire des hommes ignore la logique artificielle et qu’on ne laisse pas d’y bien raisonner et mieux quelquefois que des gens exercés en logique, cela n’en prouve pas l’inutilité, non plus qu’on prouverait celle de l’arithmétique artificielle parce qu’on voit quelques personnes bien compter dans les rencontres ordinaires sans avoir appris à lire ou à écrire et sans savoir manier la plume ni les jetons, jusqu’à redresser même des fautes d’un autre qui a appris à calculer, mais qui se peut négliger ou embrouiller dans les caractères ou marques. Il est vrai qu’encore les syllogismes peuvent devenir sophistiques, mais leurs propres lois servent à les reconnaître, et les syllogismes ne convertissent et même ne convainquent pas toujours ; mais c’est parce que l’abus des distinctions et des termes mal entendus en rend l’usage prolixe jusqu’à devenir insupportable s’il fallait le pousser à bout. Il ne me reste ici qu’à considérer et à suppléer votre argument apporté pour servir d’exemple d’un raisonnement clair sans la forme des logiciens : Dieu punit l’homme {c’est un fait supposé), Dieu punit justement celui qu’il punit (c’est une vérité de raison qu’on peut prendre pour démontrée) ; donc Dieu punit l’homme justement (c’est une conséquence syllogistique étendue asyllogistiquement a rec<o ad ohliquum) ; donc l’homme est puni justement (c’est une inversion de relation, mais qu’on supprime à cause de son évidence) ; donc l’homme est coupable (c’est un enthymème où l’on supprime cotte proposition, qui en effet n’est qu’une définition : celui qu’on punit justement est coupable) ; donc l’homme aurait pu faire autrement (on supprime cette proposition : celui qui est coupable a pu faire autrement) ; donc l’homme a été libre (on supprime encore : qui a pu faire autrement a été libre) ; donc (par la définition du libre) il a eu la puissance de se déterminer ; ce qu’il fallait prouver. Je remarque que ce donc même enferme en effet et la proposition sous-entendue (que celui qui est libre a la puissance de se déterminer) et sert à éviter la répétition des termes.