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conclusion. Et on peut observer ces degrés dans les démonstrations mathématiques.

Théophile. La raison est la vérité connue dont la liaison avec une autre moins connue fait donner notre assentiment à la dernière. Mais, particulièrement et par excellence, on l’appelle raison, si c’est la cause non seulement de notre jugement, mais encore de la vérité même, ce qu’on appelle aussi raison à priori, et la cause dans les choses répond à la raison dans les vérités. C’est pourquoi la cause même est souvent appelée raison, et particulièrement la cause finale. Enfin la faculté qui s’aperçoit de cette liaison des vérités, ou la faculté de raisonner, est aussi appelée raison, et c’est le sens que vous employez ici. Or, cette faculté est véritablement affectée à l’homme seul ici-bas et ne parait pas dans les autres animaux ici- bas ; car j’ai déjà fait voir ci-dessus que l’ombre de la raison qui se fait voir dans les bêtes n’est que l’attente d’un événement semblable dans un cas qui paraît semblable au passé, sans connaître si la même raison a lieu. Les hommes mêmes n’agissent pas autrement dans les cas où ils sont empiriques seulement. Mais ils s’élèvent au-dessus des bêtes, en tant qu’ils voient les liaisons des vérités ; les liaisons, dis-je, qui constituent encore elles-mêmes des vérités nécessaires et universelles. Ces liaisons sont même nécessaires quand elles ne produisent qu’une opinion, lorsqu’après une exacte recherche la prévalence de la probabilité, autant qu’on en peut juger, peut être démontrée ; de sorte qu’il y a démonstration alors, non pas de la vérité de la chose, mais du parti que la prudence veut qu’on prenne. En partageant cette faculté de la raison, je crois qu’on ne fait pas mal d’en reconnaître deux parties, suivant un sentiment assez reçu qui distingue l’invention et le jugement. Quant à y os quatre degrés que vous remarquez dans les démonstrations des mathématiques, je trouve qu’ordinairement le premier, qui est de découvrir les preuves, n’y paraît pas, comme il serait à souhaiter. Ce sont des synthèses qui ont été trouvées quelquefois sans analyse, et quelquefois l’analyse a été supprimée. Les géomètres, dans leurs démonstrations, mettent premièrement la proposition qui doit être prouvée, et pour venir à la démonstration ils exposent par quelque figure ce qui est donné : c’est ce qu’on appelle ecthêse ; après quoi ils viennent à la préparation et tracent de nouvelles lignes dont ils ont besoin pour le raisonnement ; et souvent le plus grand art consiste à trouver cette préparation. Cela fait, ils font le raisonnement même, en tirant des conséquences de ce qui était donné dans l’ecthèse et de ce qui