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422 NOLTEAUX ESSAIS Entretiens pleins d’esprit et de savoir sur la pluralité des mondes, a dit de jolies choses là-dessus, et a trouvé l’art d’égayer une matière fort difficile : on dirait quasi que c’est dans l’empire de la lune d’Arlequin tout comme ici. Il est vrai qu’on juge tout autrement des lunes (qui sont des satellites seulement^ que des planètes principales. Kepler * a laissé un petit livre qui contient une fiction in- génieuse sur l’état de la lune, et un Anglais -, homme d’esprit, a donné la plaisante description d’un Espagnol de son invention que des oiseaux de passage transportèrent dans la lune, sans parler de Cyrano qui alla depuis trou- ver cet Espagnol. Quelques hommes d’esprit, voulant don- ner un beau tableau de l’autre vie, promènent les âmes bienheureuses de monde en monde, et notre imagination y trouve une partie des belles occupations qu’on peut don- ner aux génies. Mais quelque effort qu’elle se donne, je doute qu elle puisse rencontrer, à cause du grand inter- valle entre nous et ces génies et de la grande variété qui s’y trouve ; et jusqu’à ce que nous trouvions des lunettes, telles que M. Descartes nous faisait espérer, pour discer- ner des parties du globe de la lune pas plus grandes que nos maisons, nous ne saurions déterminer ce qu’il y a dans un globe différent du nôtre : nos conjectures seront plus utiles et plus véritables sur les parties intérieures de nos corps. J’espère qu’on ira au delà de la conjecture en bien des occasions, et je crois déjà maintenant qu’au moins la violente agitation des parties du feu, dont vous venez de parler, ne doit pas être comptée parmi les choses qui ne sont que paraboles. C’est dommage que l’hypothèse de M. Descartes sur la contexture des parties de l’univers visible a été si peu confirmée par les recherches et décou- vertes faites depuis, ou que M. Descartes n’a pas vécu cinquante ans plus tard, pour nous donner une hypothèse sur les connaissances présentes aussi ingénieuse que celle qu’il donna sur celles de son temps. Pour ce qui est de la connexion graduelle des espèces, nous en avons dit quelque chose dans une conférence précédente, où je remarquai que déjà des philosophes avaient raisonné sur le vide dans (es formes ou espèces. Tout va par degrés dans la nature et rien par saut, et cette règle, à l’égard des changements, est une partie de ma loi de la continuité. Mais la beauté de la nature, qui veut des perceptions dis- tinguées, demande des apparences de sauts, et pour ainsi 1. L’ouvrage de Kepler auquel il est fait allusion est le Somnium Kepleri : Francfort. 2. Godwin de iMndafT, évèque anglais, dans son livre The man in Vie moon ; London, 1638.