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coïncidence de l’idée du corps et de l’étendue. Je vois toutes choses réglées et ornées au-delà de tout ce qu’on a conçu jusqu’ici, la matière organique partout, rien de vide, stérile, négligé, rien de trop uniforme, tout varié, mais avec ordre, et ce qui passe l’imagination, tout l’univers en raccourci, mais d’une vue différente dans chacune de ses parties et même dans chacune de ses unités de substance. Outre cette nouvelle analyse des choses, j’ai mieux compris celle des notions ou idées et des vérités. J’entends ce que c’est qu’idée vraie, claire, distincte, adéquate, si j’ose adopter ce mot. J’entends quelles sont les vérités primitives, et les vrais axiomes, la distinction des vérités nécessaires et de celles de fait, du raisonnement des hommes et des consécutions des bêtes, qui en sont une ombre. Enfin vous serez surpris, Monsieur, d’entendre tout ce que j’ai à vous dire, et surtout de comprendre combien la naissance des grandeurs et des perfections de Dieu en est relevée. Car je ne saurais dissimuler à vous, pour qui je n’ai eu rien de caché, combien je suis pénétré maintenant d’admiration, et (si nous pouvons oser nous servir de ce terme) d’amour pour cette souveraine source des choses et des beautés, ayant trouvé que celles que ce système découvre passent tout ce qu’on en a conçu jusqu’ici. Vous savez que j’étais allé un peu trop loin ailleurs, et que je commençais à pencher du côté des spinozistes, qui ne laissent qu’une puissance infinie à Dieu, sans reconnaître ni perfection ni sagesse à son égard, et, méprisant la recherche des causes finales, dérivent tout d’une nécessité brute ; mais ces nouvelles lumières m’en ont guéri ; et depuis ce temps-là je prends quelquefois le nom de Théophile. J’ai lu le livre de ce célèbre Anglais, dont vous venez de parler. Je l’estime beaucoup, et j’y ai trouvé de belles choses. Mais il me semble qu’il faut aller plus avant, et qu’il faut même s’écarter de ses sentiments lorsqu’il en a pris qui nous bornent plus qu’il ne faut, et ravalent un peu non seulement la condition de l’homme, mais encore celle de l’univers.

Philalèthe. Vous m’étonnez en effet avec toutes les merveilles dont vous me faites un récit un peu trop avantageux pour que je les puisse croire facilement. Cependant je veux espérer qu’il y aura quelque chose de solide parmi tant de nouveautés dont vous me voulez régaler. En ce cas vous me trouverez fort docile. Vous savez que c’était toujours mon humeur de me rendre à la raison, et que je prenais quelquefois le nom de Philalèthe. C’est pourquoi nous nous servirons maintenant s’il vous plaît de