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cartésiens, excepté que je l’étends jusqu’aux bêtes et que je crois qu’elles ont du sentiment et des âmes immatérielles (à proprement parler), et aussi peu périssables que les atomes le sont chez Démocrite ou Gassendi, au lieu que les cartésiens, embarrassés sans sujet des âmes des bêtes et ne sachant ce qu’ils en doivent faire si elles se conservent (faute de s’aviser de la conservation de l’animal réduit en petit), ont été forcés de refuser même le sentiment aux bêtes contre toutes les apparences et contre le jugement du genre humain. Mais si quelqu’un disait que Dieu au moins peut ajouter la faculté de penser à la machine préparée, je répondrais que si cela se faisait et si Dieu ajoutait cette faculté à la matière sans y verser en même temps une substance qui fût le sujet d’inhésion de cette même faculté (comme je le conçois), c’est-à-dire sans y ajouter une âme immatérielle, il faudrait que la matière eût été exaltée miraculeusement pour recevoir une puissance dont elle n’est pas capable naturellement : comme quelques scolastiques prétendent que Dieu exalte le feu jusqu’à lui donner la force de brûler immédiatement des esprits séparés des corps, ce qui serait un miracle tout pur. Et c’est assez qu’on ne puisse soutenir que la matière pense sans y mettre une âme impérissable ou bien un miracle, et qu’ainsi l’immortalité de nos âmes suit de ce qui est naturel ; puisqu’on ne saurait soutenir leur extinction que par un miracle, soit en exaltant la matière soit en anéantissant l’âme. Car nous savons bien que la puissance de Dieu pourrait rendre nos âmes mortelles, toutes immatérielles (ou immortelles par la nature seule) qu’elles puissent être, puisqu’il les peut anéantir.

Or cette vérité de l’immatérialité de l’âme est sans doute de conséquence. Car il est infiniment plus avantageux à la religion et à la morale, surtout dans le temps où nous sommes (où bien des gens ne respectent guère la révélation toute seule et les miracles), de montrer que les âmes sont immortelles naturellement, et que ce serait un miracle si elles ne l’étaient pas, que de soutenir que nos âmes doivent mourir naturellement, mais que c’est en vertu d’une grâce miraculeuse fondée dans la seule promesse de Dieu qu’elles ne meurent point. Aussi sait-on depuis longtemps que ceux qui ont voulu détruire la religion naturelle et réduire tout à la révélée, comme si la raison ne nous enseignait rien là-dessus, ont passé pour suspects, et ce n’est pas toujours sans raison. Mais notre auteur n’est point de ce nombre, il soutient la démonstration de l’existence de Dieu, et il attribue à l’immatérialité de l’âme une probabilité dans le suprême degré, qui pourra passer par conséquent