Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/34

Cette page n’a pas encore été corrigée

leur essence nue sans aucune activité, il dépend de Dieu de donner à l’une et à l’autre la puissance de penser. Et on veut se prévaloir de l’aveu de l’adversaire qui avait accordé le sentiment aux bêtes, mais qui ne leur accorderait pas quelque substance immatérielle. On prétend que la liberté, la consciosité (p. 408) et la puissance de faire des abstractions (p. 409) peuvent être données à la matière, non pas comme matière, mais comme enrichie par une puissance divine. Enfin on rapporte, p. 434, la remarque d’un voyageur aussi considérable et judicieux que l’est M. de La Loubère, que les païens de l’Orient connaissent l’immortalité de l’âme sans en pouvoir comprendre l’immatérialité.

Sur tout cela je remarquerai, avant que de venir à l’explication de mon opinion, qu’il est sûr que la matière est aussi peu capable de produire machinalement du sentiment que de produire de la raison, comme notre auteur en demeure d’accord ; qu’à la vérité je reconnais qu’il n’est pas permis de nier ce qu’on n’entend pas, mais j’ajoute qu’on a droit de nier (au moins dans l’ordre naturel) ce qui absolument n’est point intelligible ni explicable. Je soutiens aussi que les substances (matérielles ou immatérielles) ne sauraient être conçues dans leur essence nue sans activité, que l’activité est de l’essence de la substance en général ; et qu’enfin la conception des créatures n’est pas la mesure du pouvoir de Dieu, mais que leur conceptivité ou force de concevoir est la mesure du pouvoir de la nature ; tout ce qui est conforme à l’ordre naturel pouvant être conçu ou entendu par quelque créature.

Ceux qui concevront mon système jugeront que je ne saurais me conformer en tout avec l’un ou l’autre de ces deux excellents auteurs, dont la contestation cependant est fort instructive. Mais pour m’expliquer distinctement, il faut considérer avant toutes choses que les modifications qui peuvent venir naturellement ou sans miracle à un même sujet y doivent venir des limitations ou variations d’un genre réel ou d’une nature originaire constante et absolue. Car c’est ainsi qu’on distingue chez les philosophes les modes d’un être absolu de cet être même, comme l’on sait que la grandeur, la figure et le mouvement sont manifestement des limitations et des variations de la nature corporelle. Car il est clair comment une étendue bornée donne des figures et que le changement qui s’y fait