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Cette manière précise de s’expliquer a fait que tous ces jurisconsultes des Pandectes, quoique assez éloignés quelquefois les uns du temps des autres, semblent être tous un seul auteur, et qu’on aurait bien de la peine à les discerner si les noms des écrivains n’étaient pas à la tête des extraits ; comme on aurait de la peine à distinguer Euclide, Archimède et Apollonius en lisant leurs démonstrations sur des matières que l’un aussi bien que l’autre a touchées. Il faut avouer que les Grecs ont raisonné avec toute la justesse possible dans les mathématiques, et qu’ils ont laissé au genre humain les modèles de l’art de démontrer : car si les Babyloniens et les Egyptiens ont eu une géométrie un peu plus qu’empirique, au moins n’en reste-t-il rien ; mais il est étonnant que les mêmes Grecs en soient tant déchus d’abord aussitôt qu’ils se sont éloignés tant soit peu des nombres et des figures pour venir à la philosophie. Car il est étrange qu’on ne voie point d’ombre de démonstration dans Platon et dans Aristote (excepté ses analytiques premiers) et dans tous les autres philosophes anciens. Proclus était un bon géomètre, mais il semble que c’est un homme quand il parle de philosophie. Ce qui a fait qu’il a été plus aisé de raisonner démonstrativement en mathématiques, c’est, en bonne partie, parce que l’expérience y peut garantir le raisonnement à tout moment, comme il arrive aussi dans les figures des syllogismes. Mais dans la métaphysique et dans la morale, ce parallélisme des raisons et des expériences ne se trouve plus : et dans la physique les expériences demandent de la peine et de la dépense. Or, les hommes se sont d’abord relâchés de leur attention et égarés, par conséquent, lorsqu’ils ont été destitués de ce guide fidèle de l’expérience qui les aidait et soutenait dans leur démarche, comme fait cette petite machine roulante qui empêche les enfants de tomber en marchant. Il y avait quelque succedaneum, mais ce de quoi on ne s’était pas et ne s’est pas encore avisé assez. Et j’en parlerai en son lieu. Au reste, le bleu et le rouge ne sont guère capables de fournir matière à des démonstrations, par les idées que nous en avons, parce que ces idées sont confuses. Et ces couleurs ne fournissent de la matière au raisonnement qu’autant que par l’expérience on les trouve accompagnées de quelques idées distinctes, mais où la connexion avec leurs propres idées ne paraît point.

§ 14.PHILALÈTHE. Outre l'intuition et la démonstration, qui sont les deux degrés de notre connaissance, tout le reste est foi ou opinion et non pas connaissance, du