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que c’est par impulsion et non autrement que les corps agissent les uns sur les autres, car il nous est impossible de comprendre que le corps puisse agir sur ce qu’il ne touche point, ce qui est autant que d’imaginer qu’il puisse agir où il n’est pas.

Je ne puis que louer cette piété modeste de notre célèbre auteur, qui reconnaît que Dieu peut faire au-delà de ce que nous pouvons entendre, et qu’ainsi il peut y avoir des mystères inconcevables dans les articles de la foi : mais je ne voudrais pas qu’on fût obligé de recourir au miracle dans le cours ordinaire de la nature et d’admettre des puissances et opérations absolument inexplicables. Autrement, à la faveur de ce que Dieu peut faire, on donnera trop de licence aux mauvais philosophes, et en admettant ces vertus centripètes ou ces attractions immédiates de loin sans qu’il soit possible de les rendre intelligibles, je ne vois pas ce qui empêcherait nos Scolastiques de dire que tout se fait simplement par les facultés et de soutenir leurs espèces intentionnelles qui vont des objets jusqu’à nous et trouvent moyen d’entrer jusque dans nos âmes. Si cela va bien,

Omnia jam fient, fieri quae posse negabam. (Note de traduction : Toutes les choses dont je niais qu’elles puissent se réaliser se réaliseront. Ovide Tristes, I, 8, 7)

De sorte qu’il me semble que notre auteur, tout judicieux qu’il est, va ici un peu trop d’une extrémité à l’autre. Il fait le difficile sur les opérations des âmes quand il s’agit seulement d’admettre ce qui n’est point sensible, et le voilà qui donne aux corps ce qui n’est pas même intelligible, leur accordant des puissances et des actions qui passent tout ce qu’à mon avis un esprit créé saurait faire et entendre, puisqu’il leur accorde l’attraction, et même à des grandes distances sans se borner à aucune sphère d’activité, et cela pour soutenir un sentiment qui n’est pas moins inexplicable, savoir la possibilité de la pensée de la matière dans l’ordre naturel.

La question qu’il agite avec le célèbre prélat qui l’avait attaqué est si la matière peut penser, et comme c’est un point important, même pour le présent ouvrage, je ne puis me dispenser d’y entrer un peu et de prendre connaissance de leur contestation. J’en représenterai la substance sur ce sujet et prendrai la liberté de dire ce que j’en pense. Feu M. l’évêque de Worcester, appréhendant (mais sans en avoir grand sujet à mon avis) que la doctrine