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science de la félicité. La grâce est un bien qu’on fait à ceux qui ne l’ont point mérité, et qui se trouvent dans un état où ils en ont besoin. Et la gloire est la renommée de l’excellence de quelqu’un.

§ 4.Philalèthe Je ne veux point examiner maintenant s’il y a quelque chose à dire à ces définitions, pour remarquer plutôt les causes des abus des mots. Premièrement, on apprend les mots avant que d’apprendre les idées qui leur appartiennent, et les enfants accoutumés à cela dès le berceau en usent de même pendant toute leur vie, d’autant plus qu’ils ne laissent pas de se faire entendre dans la conversation, sans avoir jamais fixé leur idée en se servant de différentes expressions pour faire concevoir aux autres ce qu’ils veulent dire. Cependant cela remplit souvent leur discours de quantité de vains sons, surtout en matière de morale. Les hommes prennent les mots qu’ils trouvent en usage chez leurs voisins, pour ne pas paraître ignorer ce qu’ils signifient, et ils les emploient avec confiance sans leur donner un sens certain; et comme dans ces sortes de discours il leur arrive rarement d’avoir raison, ils sont aussi rarement convaincus d’avoir tort; et les vouloir tirer d’erreur, c’est vouloir déposséder un vagabond.

Théophile. En effet, on prend si rarement la peine qu’il faudrait se donner pour avoir l’intelligence des termes ou mots, que je me suis étonné plus d’une fois que les enfants peuvent apprendre sitôt les langues, et que les hommes parlent encore si juste, vu qu’on s’attache si peu à instruire les enfants dans leur langue maternelle, et que les autres pensent si peu à acquérir des définitions nettes, d’autant que celles qu’on apprend dans les écoles ne regardent pas ordinairement les mots qui sont dans l’usage public. Au reste, j’avoue qu’il arrive aux hommes d’avoir tort lors même qu’ils disputent sérieusement et parlent suivant leur sentiment; cependant j’ai remarqué aussi assez souvent que dans leurs disputes de spéculation sur des matières qui sont du ressort de leur esprit, ils ont tous raison des deux côtés, excepté dans les oppositions qu’ils font les uns aux autres, où ils prennent mal le sentiment d’autrui : ce qui vient du mauvais usage des termes et quelquefois aussi d’un esprit de contradiction et d’une affectation de supériorité.

§ 5.Philalèthe. En second lieu, l’usage des mots est quelquefois inconstant : cela ne se pratique que trop parmi les savants. Cependant c’est une tromperie manifeste, et si elle est volontaire, c’est folie ou malice. Si quelqu’un en usait ainsi dans ses comptes (comme de