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auteurs : puisqu’il se trouve, dans les auteurs grecs, que presque chacun d’eux parle un langage différent.

Théophile. J’ai été surpris de voir que des auteurs grecs si éloignés les uns des autres à l’égard des temps et des lieux, comme Homère, Hérodote, Strabon, Plutarque, Lucien, Eusèbe, Procope, Photius s’approchent tant ; au lieu que les Latins ont tant changé, et les Allemands, Anglais et Français, bien davantage. Mais c’est que les Grecs ont eu, dès le temps d’Homère, et plus encore lorsque la ville d’Athènes était dans un état florissant, de bons auteurs que la postérité a pris pour modèles, au moins en écrivant. Car sans doute la langue vulgaire des Grecs devait être bien changée déjà sous la domination des Romains, et cette même raison fait que l’italien n’a pas tant changé que le français, parce que les Italiens ayant eu plus tôt des écrivains d’une réputation durable, ont imité et estiment encore Dante, Pétrarque, Boccace et autres auteurs d’un temps d’où ceux des Français ne sont plus de mise.


§ 1. Philalèthe. Outre les imperfections naturelles du langage, il y en a de volontaires et qui viennent de négligence, et c’est abuser des mots que de s’en servir si mal. Le premier et le plus visible abus est, § 2, qu’on n’y attache point d’idée claire. Quant à ces mots, il y en a de deux classes; les uns n’ont jamais eu d’idée déterminée ni dans leur origine ni dans leur usage ordinaire. La plupart des sectes de philosophie et de religion en ont introduit pour soutenir quelque opinion étrange, ou cacher quelque endroit faible de leur système. Cependant ce sont des caractères distinctifs dans la bouche des gens de parti. § 3. Il y a d’autres mots qui dans leur usage premier et commun ont quelque idée claire, mais qu’on a appropriés depuis à des matières fort importantes, sans leur attacher aucune idée certaine. C’est ainsi que les mots de sagesse, de gloire, de grâce sont souvent dans la bouche des hommes.

Théophile. Je crois qu’il n’y a pas tant de mots insignifiants qu’on pense, et qu’avec un peu de soin et de bonne volonté, on pourrait y remplir le vide ou fixer l’indétermination. La sagesse ne paraît être autre chose que la