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ont pourtant des qualités fort différentes, dépendantes de leurs constitutions réelles (particulières). C’est ce qu’observent sans peine tous ceux qui examinent les corps naturels, et souvent les chimistes en sont convaincus par de fâcheuses expériences, cherchant en vain dans un morceau d’antimoine, de soufre et de vitriol les qualités qu’ils ont trouvées en d’autres parties de ces minéraux.

Théophile. Il n’est rien de si vrai et j’en pourrais dire moi-même des nouvelles. Aussi a-t-on fait des livres exprès de infido experimentorum chymicorum successu. Mais c’est qu’on se trompe en prenant ces corps pour similaires ou uniformes, au lieu qu’ils sont mêlés plus qu’on ne pense ; car dans les corps dissimilaires on n’est pas surpris de remarquer les différences entre les individus, et les médecins ne savent que trop combien les tempéraments et les naturels des corps humains sont différents. En un mot, on ne trouvera jamais les dernières espèces logiques, comme j’ai déjà remarqué ci-dessus, et jamais deux individus réels ou complets d’une même espèce ne sont parfaitement semblables.

Philalèthe. Nous ne remarquons point toutes ces différences, parce que nous ne connaissons point les petites parties, ni par conséquent la structure intérieure des choses. Aussi ne nous en servons-nous pas pour déterminer les sortes ou espèces des choses, et si nous le voulions faire par ces essences ou par ce que les écoles appellent formes substantielles, nous serions comme un aveugle qui voudrait ranger les corps selon les couleurs. § 11. Nous ne connaissons pas même les essences des esprits, nous ne saurions former des différentes idées spécifiques des anges, quoique nous sachions bien qu’il faut qu’il y ait plusieurs espèces des esprits. Aussi semble-t-il que dans nos idées nous ne mettons aucune différence entre Dieu et les esprits par aucun nombre d’idées simples, excepté que nous attribuons à Dieu l’infinité.

Théophile. Il y a encore une autre différence dans mon système entre Dieu et les esprits créés, c’est qu’il faut à mon avis que tous les esprits créés aient des corps, tout comme notre âme en a un.

§ 12. Philalèthe. Au moins je crois qu’il y a cette analogie entre les corps et les esprits que, de même qu’il n’y a point de vide dans les variétés du monde corporel, il n’y aura pas moins de variété dans les créatures intelligentes. En commençant depuis nous et allant jusqu’aux choses les plus basses, c’est une descente qui se fait par de fort petits degrés et par une suite continuée des choses qui dans chaque éloignement diffèrent fort peu l’une de