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dans les mots et nullement dans les idées. Car elles n’expriment que des possibilités : ainsi, quand il n’y aurait jamais eu de parricide et quand tous les législateurs se fussent aussi peu avisés que Solon d’en parler, le parricide serait un crime possible et son idée serait réelle. Car les idées sont en Dieu de toute éternité et même elles sont en nous avant que nous y pensions actuellement, comme j’ai montré dans nos premières conversations. Si quelqu’un les veut prendre pour des pensées actuelles des hommes, cela lui est permis, mais il s’opposera sans sujet au langage reçu.


§ 2, 3, sqq. Philalèthe. Mais l’esprit ne forme-t-il pas les idées mixtes en assemblant les idées simples comme il le juge à propos, sans avoir besoin de modèle réel ; au lieu que les idées simples lui viennent sans choix par l’existence réelle des choses ? Ne voit-il pas souvent l’idée mixte avant que la chose existe ?

Théophile. Si vous prenez les idées pour les pensées actuelles, vous avez raison. Mais je ne vois point qu’il soit besoin d’appliquer votre distinction à ce qui regarde la forme même ou la possibilité de ces pensées, et c’est pourtant de quoi il s’agit dans le monde idéal, qu’on distingue du monde existant. L’existence réelle des êtres qui ne sont point nécessaires est un point de fait ou d’histoire, mais la connaissance des possibilités et des nécessités (car nécessaire est dont l’opposé n’est point possible) fait les sciences démonstratives.

Philalèthe. Maisy a-t-il plus de liaison entre les idées de tuer et de l’ h o m m e qu’entre les idées de tuer et de la brebis ? le parricide est-il composé de notions plus liées que l’infanticide ? et ce que les Anglais appellent s ta b b ing, c’est-à-dire un meurtre par estocade, ou en frappant de la pointe, qui est plus grief chez eux que lorsqu’on tue en frappant du tranchant de l’épée, est-il plus naturel pour avoir mérité un nom et une idée, qu’on n’a point accordés par exemple à l’acte de tuer une brebis ou de tuer un homme en taillant ?

Théophile. S’il ne s’agit que des possibilités, toutes ces idées sont également naturelles. Ceux qui ont vu tuer des brebis ont eu une idée de cet acte dans la pensée, quoi-