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Ce qui fait voir le peu de nécessité de la règle qui veut qu’une définition doit être composée de genre et de différence, et le peu d’avantage qu’il y a à l’observer exactement. Aussi les langues ne sont pas toujours formées selon les règles de la logique, en sorte que la signification de chaque terme puisse être exactement et clairement exprimée par deux autres termes. Et ceux qui ont fait cette règle ont eu tort de nous donner si peu de définitions qui y soient conformes.

Théophile. Je conviens de vos remarques ; il serait pourtant avantageux pour bien des raisons que les définitions puissent être de deux termes : cela sans doute abrégerait beaucoup et toutes les divisions pourraient être réduites à des dichotomies, qui en sont la meilleure espèce, et servent beaucoup pour l’invention, le jugement et la mémoire. Cependant je ne crois pas que les logiciens exigent toujours que le genre ou la différence soit exprimée en un seul mot ; par exemple ce terme polygone régulier peut passer pour le genre du carré, et dans la figure du cercle le genre pourra être une figure plane curviligne, et la différence serait celle dont les points de la ligne ambiante soient également distants d’un certain point comme centre. Au reste il est encore bon de remarquer que bien souvent le genre pourra être changé en différence, et la différence en genre, par exemple : le carré est un régulier quadrilatéral, ou bien un quadrilatère régulier, de sorte qu’il semble que le genre ou la différence ne diffèrent que comme le substantif et l’adjectif ; comme si au lieu de dire que l’homme est un animal raisonnable, la langue permettait de dire que l’homme est un rational animable, c’est-à-dire une substance raisonnable douée d’une nature animale ; au lieu que les génies sont des substances raisonnables dont la nature n’est point animale, ou commune avec les bêtes. Et cet échange des genres et différences dépend de la variation de l’ordre des sous-divisions.

§ 11. Philalèthe. Il s’ensuit de ce que je venais de dire que ce qu’on appelle général et universel n’appartient point à l’existence des choses, mais que c’est un ouvrage de l’entendement. § 12. Et les essences de chaque espèce ne sont que les idées abstraites.

Théophile. Je ne vois pas assez cette conséquence. Car la généralité consiste dans la ressemblance des choses singulières entre elles, et cette ressemblance est une réalité.

13. Philalèthe. J’allais vous dire moi-même que ces espèces sont fondées sur les ressemblances.