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Théophile. Fort bien ; mais cela ne fait voir que ce que je viens de dire ; car comme l’enfant va par abstraction de l’observation de l’idée de l’homme à celle de l’idée de l’animal, il est venu de cette idée plus spécifique, qu’il observait dans sa mère ou dans son père et dans d’autres personnes, à celle de la nature humaine. Car pour juger qu’il n’avait point de précise idée de l’individu, il suffit de considérer qu’une ressemblance médiocre le tromperait aisément et le ferait prendre pour sa mère une autre femme, qui ne l’est point. Vous savez l’histoire du faux Martin Guerre 160, qui trompa la femme même du véritable et les proches parents par la ressemblance jointe à l’adresse et embarrassa longtemps les juges, lors même que le véritable fut arrivé.

§ 9. Philalèthe. Ainsi tout ce mystère du genre et des espèces, dont on fait tant de bruit dans les écoles, mais qui hors de là est avec raison si peu considéré, tout ce mystère, dis-je, se réduit uniquement à la formation d’idées abstraites plus ou moins étendues, auxquelles on donne certains noms.

Théophile. L’art de ranger les choses en genres et en espèces n’est pas de petite importance et sert beaucoup tant au jugement qu’à la mémoire. Vous savez de quelle conséquence cela est dans la botanique, sans parler des animaux et autres substances, et sans parler aussi des êtres moraux et notionaux, comme quelques-uns les appellent. Une bonne partie de l’ordre en dépend, et plusieurs bons auteurs écrivent en sorte que tout leur discours peut être réduit en divisions ou sous-divisions, suivant une méthode qui a du rapport aux genres et aux espèces, et sert non seulement à retenir les choses, mais même à les trouver. Et ceux qui ont disposé toutes sortes de notions sous certains titres ou prédicaments sous-divisés ont fait quelque chose de fort utile.

10. Philalèthe. En définissant les mots, nous nous servons du genre ou du terme général le plus prochain ; et c’est pour s’épargner la peine de compter les différentes idées simples que ce genre signifie, ou quelquefois peut-être pour s’épargner la honte de ne pouvoir faire cette énumération. Mais quoique la voie la plus courte de définir soit par le moyen du genre et de la différence, comme parlent les logiciens, on peut douter à mon avis qu’elle soit la meilleure : du moins elle n’est pas l’unique. Dans la définition qui dit que l’homme est un animal raisonnable (définition qui peut-être n’est pas la plus exacte, mais qui sert assez bien au présent dessein), au lieu du mot animal on pourrait mettre sa définition.