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phale, afin de pouvoir distinguer tel ou tel cheval particulier, lorsqu’il est éloigné de leur vue.

Théophile. Ces remarques sont bonnes et il y en a qui conviennent avec celles que je viens de faire. Mais j’ajouterai, suivant ce que j’ai observé déjà, que les noms propres ont été ordinairement appellatifs, c’est-à-dire généraux, dans leur origine, comme Brutus, César, Auguste, Capito, Lentulus, Piso, Cicéron, Elbe, Rhin, Ruhr, Leine, Oker, Bucéphale, Alpes, Brenner ou Pyrénées ; car l’on sait que le premier Brutus eut ce nom de son apparente stupidité, que César était le nom d’un enfant tiré par incision du ventre de sa mère, qu’Auguste était un nom de vénération, que Capiton est grosse tête, comme Bucéphale aussi, que Lentulus, Pison et Cicéron ont été des noms donnés au commencement à ceux qui cultivaient particulièrement certaines sortes de légumes. J’ai déjà dit ce que signifient les noms de ces rivières, Rhin, Ruhr, Leine, Oker. Et l’on sait que toutes les rivières s’appellent encore elbes en Scandinavie. Enfin alpes sont montagnes couvertes de neige (à quoi convient album, blanc) et Brenner ou Pyrénées signifient une grande hauteur, car bren était haut, ou chef (comme Brennus) en celtique, comme encore brinck chez les bas Saxons est hauteur, et il y a un B ren n er entre l’Allemagne et l’Italie, comme les Pyrénées sont entre les Gaules et l’Espagne. Ainsi j’oserais dire que presque tous les mots sont originairement des termes généraux, parce qu’il arrivera fort rarement qu’on inventera un nom exprès sans raison pour marquer un tel individu. On peut donc dire que les noms des individus étaient des noms d’espèce, qu’on donnait par excellence ou autrement à quelque individu, comme le nom de grosse-tête à celui de toute la ville qui l’avait la plus grande ou qui était le plus considéré des grosses têtes qu’on connaissait. C’est ainsi même qu’on donne les noms des genres aux espèces, c’est-à-dire qu’on se contentera d’un terme plus général ou plus vague pour désigner des espèces plus particulières, lorsqu’on ne se soucie point des différences. Comme, par exemple, on se contente du nom général d’absinthe, quoiqu’il y en ait tant d’espèces qu’un des Bauhins en a rempli un livre exprès ’Sy.

6. Philalèthe. Vos réflexions sur l’origine des noms propres sont fort justes ; mais pour venir à celle des noms