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qu’elles sont conformes aux qualités des choses ou aux conceptions d’un autre.

Théophile. Il est vrai pourtant qu’on prétend de désigner bien souvent plutôt ce que d’autres pensent que ce qu’on pense de son chef, comme il n’arrive que trop aux laïques dont la foi est implicite. Cependant j’accorde qu’on entend toujours quelque chose de général, quelque sourde et vide d’intelligence que soit la pensée ; et on prend garde au moins de ranger les mots selon la coutume des autres, se contentant de croire qu’on pourrait en apprendre le sens au besoin. Ainsi on n’est quelquefois que le truchement des pensées, ou le porteur de la parole d’autrui, tout comme serait une lettre ; et même on l’est plus souvent qu’on ne pense.

§ 3. Philalèthe. Vous avez raison d’ajouter qu’on entend toujours quelque chose de général, quelque idiot qu’on soit. Un enfant, n’ayant remarqué dans ce qu’il entend nommer or qu’une brillante couleur jaune, donne le nom d’or à cette même couleur, qu’il voit dans la queue d’un paon ; d’autres ajouteront la grande pesanteur, la fusibilité, la malléabilité.

Théophile. Je l’avoue ; mais souvent l’idée qu’on a de l’objet dont on parle est encore plus générale que celle de cet enfant, et je ne doute point qu’un aveugle [né] ne puisse parler pertinemment des couleurs et faire une harangue à la louange de la lumière, qu’il ne connaît pas, parce qu’il en a appris les effets et les ~ irconstances.

§ 4. Philalèthe. Ce que vous remarquez est très vrai. Il arrive souvent que les hommes appliquent davantage leurs pensées aux mots qu’aux choses, et parce qu’on a appris la plupart de ces mots avant que de connaître les idées qu’ils signifient, il y a non seulement des enfants, mais des hommes faits qui parlent souvent comme des perroquets. § 5. Cependant les hommes prétendent de ordinairement marquer leurs propres pensées et de plus ils attribuent aux mots un secret rapport aux idées d’autrui et aux choses mêmes. Car si les sons étaient attachés à une autre idée par celui avec qui nous nous entretenons, ce serait parler deux langues ; il est vrai qu’on ne s’arrête pas trop à examiner quelles sont les idées des autres, et l’on suppose que notre idée est celle que le commun et les habiles gens du pays attachent au même mot. § 6. Ce qui a lieu particulièrement à l’égard des idées simples et des modes, mais quant aux substances on y croit plus particulièrement que les mots signifient aussi la réalité des choses.

Théophile. Les substances et les modes sont également