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claires dans l’assemblage, mais confuses dans les parties ; ces impressions que les corps environnants font sur nous et qui enveloppent l’infini ; cette liaison que chaque être a avec tout le reste de l’univers. On peut même dire qu’en conséquence de ces petites perceptions le présent est plein de l’avenir et chargé du passé, que tout est conspirant (σύμπνοια πάντα, comme disait Hippocrate), et que dans la moindre des substances, des yeux aussi perçants que ceux de Dieu pourraient lire toute la suite des choses de l’univers.

Quæ sint, quæ fuerint, quæ mox ventura trahantur1.

Ces perceptions insensibles marquent encore et constituent le même individu, qui est caractérisé par les traces qu’elles conservent des états précédents de cet individu, en faisant la connexion avec son état présent ; et elles se peuvent connaître par un esprit supérieur, quand même cet individu ne les sentirait pas, c’est-à-dire lorsque le souvenir exprès n’y serait plus. Elles donnent même le moyen de retrouver le souvenir, au besoin, par des développements périodiques, qui peuvent arriver un jour. C’est pour cela que la mort ne saurait être qu’un sommeil, et même ne saurait en demeurer un, les perceptions cessant seulement d'être assez distinguées et se réduisant à un état de confusion, dans les animaux, qui suspend l’aperception, mais qui ne saurait durer toujours.

C’est aussi par les perceptions insensibles que j’explique cette admirable harmonie préétablie de l’âme et du corps, et même de toutes les monades ou substances simples, qui supplée à l’influence insoutenable des unes sur les autres, et qui, au jugement de l’auteur2 du plus beau des Dictionnaires, exalte la grandeur des perfections divines au delà de ce qu’on en a jamais conçu. Après cela, je dois encore ajouter que ce sont ces petites perceptions qui nous déterminent en bien des rencontres sans qu’on y pense, et qui trompent le vulgaire par l’apparence d’une indifférence d’équilibre, comme si nous étions indifférents à tourner, par exemple, à droite ou à gauche. Il n’est point nécessaire que je fasse aussi remarquer ici, comme j’ai fait dans le livre même, qu’elles causent cette inquiétude que je montre consister en quelque chose qui ne diffère de la douleur que comme le petit diffère du grand, et qui

1 Qui sont, qui furent, qui vont venir [Ajout du traducteur : Virgile, Géorgiques, IV, 393)]

2 Bayle, à l'article Rorarius de son Dictionnaire.