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les habitudes intellectuelles ; on lie la matière avec l’être, comme s’il n’y avait rien d’immatériel. § 18. On attache à ses opinions le parti de secte dans la philosophie, dans la religion et dans l’État.

Théophile. Cette remarque est importante et entièrement à mon gré, et on la pourrait fortifier par une infinité d’exemples. M. Descartes, ayant eu dans sa jeunesse quelque affection pour une personne louche, ne put s’empêcher d’avoir toute sa vie quelque penchant pour ceux qui avaient ce défaut. M. Hobbes, autre grand philosophe, ne put (dit-on) demeurer seul dans un lieu obscur sans qu’il eût l’esprit effrayé par les images des spectres, quoiqu’il n’en crût point, cette impression lui étant restée des contes qu’on fait aux enfants. Plusieurs personnes savantes et de très bon sens, et qui sont fort au-dessus des superstitions, ne sauraient se résoudre d’être treize à un repas sans en être extrêmement déconcertées, ayant été frappées autrefois de l’imagination qu’il en doit mourir un dans l’année. Il y avait un gentilhomme qui, ayant été blessé peut-être dans son enfance par une épingle mal attachée, ne pouvait plus en voir dans cet état sans être prêt à tomber en défaillance. Un premier ministre, qui portait dans la cour de son maître le nom de président, se trouva offensé par le titre du livre d’Ottavio Pisani, nommé Lycurgue, et fit écrire contre ce livre, parce que l’auteur, en parlant des officiers de justice qu’il croyait superflus, avait nommé aussi les présidents, et quoique ce terme dans la personne de ce ministre signifiât tout autre chose, il avait tellement attaché le mot à sa personne qu’il était blessé dans ce mot. Et c’est un cas des plus ordinaires des associations non naturelles, capables de tromper, que celles des mots aux choses, lors même qu’il y a de l’équivoque. Pour mieux entendre la source de la liaison non naturelle des idées, il faut considérer ce que j’ai remarqué déjà ci-dessus (chapitre XI, § 11) en parlant du raisonnement des bêtes, que l’homme aussi bien que la bête est sujet à joindre par sa mémoire et son imagination ce qu’il a remarqué joint dans ses perceptions et ses expériences. C’est en quoi consiste tout le raisonnement des bêtes, s’il est permis de l’appeler ainsi, et souvent celui des hommes, en tant qu’ils sont empiriques et ne se gouvernent que par les sens et exemples, sans examiner si la même raison a encore lieu. Et comme souvent les raisons nous sont inconnues, il faut avoir égard aux