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Mais outre que personne ne peut assurer par la seule raison jusqu’où peuvent être allées nos aperceptions passées que nous pouvons avoir oubliées, surtout suivant la réminiscence des Platoniciens qui, toute fabuleuse qu’elle est, n’a rien d’incompatible avec la raison toute nue ; outre cela, dis-je, pourquoi faut-il que tout nous soit acquis par les aperceptions des choses externes, et que rien ne puisse être déterré en nous-mêmes ? Notre âme est-elle donc seule si vide, que sans les images empruntées du dehors, elle ne soit rien ? Ce n’est pas là (je m’assure) un sentiment que notre judicieux auteur puisse approuver. Et où trouvera-t-on des tablettes qui ne soient quelque chose de varié par elles-mêmes ? Verra-t-on jamais un plan parfaitement uni et uniforme ? Pourquoi donc ne pourrions-nous pas fournir aussi à nous-mêmes quelque objet de pensée de notre propre fonds, lorsque nous y voudrons creuser ? Ainsi je suis porté à croire que dans le fond son sentiment sur ce point n’est pas différent du mien ou plutôt du sentiment commun, d’autant qu’il reconnaît deux sources de nos connaissances, les sens et la réflexion.

Je ne sais s’il sera si aisé de l’accorder avec nous et avec les Cartésiens, lorsqu’il soutient que l’esprit ne pense pas toujours et particulièrement qu’il est sans perception quand on dort sans avoir des songes, et il objecte que puisque les corps peuvent être sans mouvement, les âmes pourront bien être aussi sans pensée. Mais ici je réponds un peu autrement qu’on n’a coutume de faire. Car je soutiens que naturellement une substance ne saurait être sans action, et qu’il n’y a même jamais de corps sans mouvement. L’expérience me favorise déjà, et on n’a qu’à consulter le livre de l’illustre M. Boyle contre le repos absolu, pour en être persuadé, mais je crois que la raison y est encore, et c’est une des preuves que j’ai pour détruire les atomes. D’ailleurs il y a mille marques qui font juger qu’il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c’est-à-dire des changements dans l’âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que ces impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre ou trop unies, en sorte qu’elles n’ont rien d’assez distinguant à part, mais jointes à d’autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir au moins confusément dans l’assemblage.