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faut faire quand il a été bien vérifie que l’ivre ou le noctambule ont été hors d’eux, comme cela se peut. En ce cas le noctambule ne saurait être considéré que comme un maniaque ; mais, comme l’ivresse est volontaire et que la maladie ne l’est pas, on punit l’un plutôt que l’autre.

Philalèthe. Mais, au grand et redoutable jour du jugement, où les secrets de tous les cœurs seront découverts, on a droit de croire que personne n'aura à répondre pour ce qui lui est entièrement inconnu, et que chacun recevra ce qui lui est dû, étant accusé par sa propre conscience.

Théophile. Je ne sais s’il faudra que la mémoire de l’homme soit exaltée au jour du jugement pour qu’il se souvienne de tout ce qu’il avait oublié, et si la connaissance des autres, et surtout du juste juge qui ne saurait se tromper, ne suffira pas. On pourrait former une fiction, peu convenable à la vérité, mais néanmoins concevable, qui serait qu’un homme, au jour du jugement, crût avoir été méchant, et que le même parût vrai à tous les autres esprits créés qui seraient à portée pour en juger sans que cela fût vrai, pourra-t-on dire que le suprême et juste juge, qui saurait seul le contraire, pourrait damner cette personne et juger contre ce qu’ils font? Cependant il semble que cela suivrait de la notion que vous donniez de la personnalité morale. On dira peut-être que si Dieu juge contre les apparences, il ne sera pas assez glorifié et fera de la peine aux autres ; mais on pourra répondre qu’il est lui-même son unique et suprême loi, et qu’en ce cas les autres doivent juger qu’ils se sont trompés.

§ 23. Philalèthe. Si nous pouvions supposer ou que deux consciences distinctes et incommunicables agissent tour à tour dans le même corps, l’une constamment pendant le jour et l’autre durant la nuit, ou que la même conscience agit par intervalles dans deux corps différents, je demande si, dans le premier cas, l’homme de jour et l’homme de nuit, si j’ose m'exprimer de la sorte, ne seraient pas deux personnes aussi distinctes que Socrate et Platon ; et si, dans le second cas, ce ne serait pas une seule personne dans deux corps distincts ? Il n'importe point que cette même conscience qui affecte deux différents corps, et ces consciences qui affectent le même corps en différents temps, appartiennent l’une à la même substance immatérielle et les deux autres à deux distinctes substances immatérielles qui introduisent ces diverses consciences dans ces corps-là, puisque l’identité personnelle serait également, déterminée par la cons-