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mériteraient d’être appelés le même homme, n'est que de nom ; et j’ai vu que le célèbre auteur dont vous avez soutenu les opinions le reconnaît et l’explique fort bien (dans le dernier paragraphe de ce chapitre). L’identité de substance y serait; mais en cas qu’il n'y eût point de connexion de souvenance entre les différents personnages que la même âme ferait, il n'y aurait pas assez d’identité morale pour dire que ce serait une même personne. Et si Dieu voulait que l’âme humaine allât dans un corps de pourceau oubliant l’homme et n'y exerçant point d’actes raisonnables, elle ne constituerait point un homme. Mais si dans le corps de la bête elle avait les pensées d’un homme, et même de l’homme qu’elle animait avant le changement, comme l’âne d’or d’Apulée, quelqu’un ne ferait peut-être point de difficulté de dire que le même Lucius, venu en Thessalie pour voir ses amis, demeura sous la peau de l’âne, où Photis l’avait mis malgré elle, et se promena de maître à maître jusqu’à ce que Tes roses mangées lui rendirent sa forme naturelle.

§ 9. Philalèthe. Je crois de pouvoir avancer hardiment que qui de nous verrait une créature, faite et formée comme soi-même, quoiqu’elle n'eût jamais fait paraître plus de raison qu’un chat ou un perroquet, ne laisserait pas de l’appeler homme; ou que s’il entendait un perroquet discourir raisonnablement et en philosophe, il ne l’appellerait ou ne le croirait que perroquet, et qu’il dirait du premier de ces animaux que c'est un homme grossier, lourd et destitué de raison, et du dernier que c'est un perroquet plein d’esprit et de bon sens.

Théophile. Je serais plus du même avis sur le second point que sur le premier, quoiqu’il y ait encore là quelque chose à dire. Peu de théologiens seraient assez hardis pour conclure d’abord et absolument au baptême d’un animal de figure humaine mais sans apparence de raison, si on le prenait petit dans le bois, et quelque prêtre de l’Eglise romaine dirait peut-être conditionnellement, si tu es un homme je te baptise; car on ne saurait point s’il est de race humaine et si une âme raisonnable y loge et ce pourrait être un orang-outang, singe fort approchant de l’extérieur de l’homme, tel que celui dont parle Tulpius(2) pour l’avoir vu, et tel que celui dont un savant médecin a publié l’anatomie. Il est sûr, je l’avoue, que l’homme peut devenir aussi stupide qu’un orang-outang, mais l’intérieur de l’âme raisonnable y demeure-