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Théophile. L’organisation ou configuration sans un principe de vie subsistant que j’appelle monade, ne suffirait pas pour faire demeurer idem numéro ou le même individu; car la configuration peut demeurer individuellement. Lorsqu’un fer à cheval se change en cuivre dans une eau minérale de la Hongrie, la même figure en espèce demeure, mais non pas le même en individu ; car le fer se dissout, et le cuivre dont l’eau est imprégnée se précipite et se met insensiblement à la place. Or la figure est un accident qui ne passe pas d’un sujet à l’autre (de subjecto in subjectum). Ainsi il faut dire que les corps organisés aussi bien que d’autres ne demeurent les mêmes qu’en apparence, et non pas en parlant à la rigueur. C’est à peu près comme un fleuve qui change toujours d'eau, ou comme le navire de Thésée que les Athéniens réparaient toujours. Mais quant aux substances, qui ont en elles-mêmes une véritable et réelle unité substantielle, à qui puissent appartenir les actions vitales proprement dites, et quant aux êtres substantiels, quæ uno spiritu continentur, comme parle un ancien jurisconsulte, c’est-à-dire qu’un certain esprit indivisible anime, on a raison de dire qu’elles demeurent parfaitement le même individu par cette âme ou cet esprit qui fait le moi dans celles qui pensent.

§ 4. Philalèthe. Le cas n'est pas fort différent dans les brutes et dans les plantes.

Théophile. Si les végétables et les brutes n'ont point d’âme, leur identité n’est qu’apparente; mais s’ils en ont, l’identité individuelle y est véritable, à la rigueur, quoique leurs corps organisés n’en gardent point.

§ 6. Philalèthe. Cela montre encore en quoi consiste l’identité du même homme, savoir, en cela seul qu’il jouit de la même vie continuée par des particules de matière qui sont dans un flux perpétuel, mais qui, dans cette succession, sont vitalement unies au même corps organisé.

Théophile. Cela se peut entendre dans mon sens. En effet le corps organisé n'est pas le même au delà d’un moment, il n’est qu'équivalent. Et si on ne se rapporte point à l’âme, il n’y aura point la même vie ni union vitale non plus. Ainsi cette identité ne serait qu’apparente.

Philalèthe. Quiconque attachera l’identité de l’homme à quelque autre chose qu’à un corps bien organisé dans un certain instant et qui dès lors continue dans cette organisation vitale par une succession de diverses particules de matière qui lui sont unies aura de la peine à faire qu'un embryon et un homme âgé, un fou et un sage soient le