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Philalète. De même, lorsqu’elle vient à pousser une autre boule qui se trouve sur son chemin et la met en mouvement, elle ne fait que lui communiquer le mouvement qu’elle avait reçu et en perd tout autant. Théophile. Je vois que cette opinion erronée, que les cartésiens ont mise en vogue, comme si les corps perdaient autant de mouvement qu’ils en donnent, qui est détruite aujourd’hui par les expériences et par les raisons, et abandonnée même par l’auteur illustre de la Recherche de la vérité, qui a fait imprimer un petit discours tout exprès pour la rétracter, ne laisse pas de donner encore occasion aux habiles gens de se méprendre en bâtissant des raisonnements sur un fondement si ruineux.

Philalète. Le transport du mouvement ne donne qu’une idée fort obscure d’une puissance active de mouvoir, qui est dans le corps, tandis que nous ne voyons autre chose sinon que le corps transfère le mouvement sans le produire en aucune manière.

Théophile. Je ne sais si l’on prétend ici que le mouvement passe de sujet en sujet, et que le même mouvement [idem numéro) se transfère : je sais que quelques-uns sont allés là, entre autres le père Casati[1], jésuite, malgré toute l’école. Mais je doute que ce soit votre sentiment ou celui de vos habiles amis, bien éloignés ordinairement de telles imaginations ; cependant, si le mouvement n’est point transporté, il faut qu’on admette qu’il se produit un mouvement nouveau dans le corps qui le reçoit : ainsi, celui qui donne, agirait véritablement, quoiqu’il pâtit en même temps en perdant de sa force ; car, quoiqu’il ne soit point vrai que le corps perde autant de mouvement qu’il en donne, il est toujours vrai qu’il en perd, et qu’il perd autant de force qu’il en donne, comme je l’ai expliqué ailleurs, de sorte qu’il faut toujours admettre en lui de la force ou de la puissance active. J’entends la puissance dans le sens plus noble que j’ai expliqué un peu auparavant, où la tendance est jointe à la faculté ; cependant, je suis toujours d’accord avec vous que la plus claire idée de la puissance active nous vient de l’esprit. Aussi n’est-elle que dans les choses qui ont de l’analogie avec l’esprit, c’est-à-dire dans les entéléchies : car la matière ne marque proprement que la puissance passive.

§ 5. Philalète. Nous trouvons en nous-mêmes la puis-

  1. 1. Casari (1617-1707), jésuite italien, auteur des Meclianicorum libri octo.